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Luttes sociales et environnementales, paysannes et citoyennes…

On eut détruire la planète, les forets, les rivières, polluer sol et air et ne pas être inquiété. Mais arrêter les massacres, les destructions du vivant peuvent vous valoir une arrestation. Dans quel monde vit on ?

En France, une vague d’arrestations contre le mouvement écologiste radical

Une quinzaine de militants ont été arrêtés dans 8 communes de France le 5 juin, dans le cadre d’une instruction judiciaire concernant des dégradations commises en décembre dernier dans une usine Lafarge des Bouches-du-Rhône.

Lundi 5 juin à six heures, une vague d’arrestations et de perquisitions sans précédent a frappé des militantes et militants proches des Soulèvements de la Terre et de l’écologie radicale. L’opération a été menée dans le cadre d’une instruction judiciaire concernant des faits de dégradations accomplis le 10 décembre dernier dans une usine Lafarge à Bouc-Bel-Air (Bouches-du-Rhône).

Les forces de police ont ciblé huit communes à travers la France, dans des grandes villes, à Marseille, Montreuil, Dijon, Lyon, Toulouse, Bayonne ainsi que des zones rurales, à Caylus et à Verfeil, dans le Tarn et Garonne. Plus d’une quinzaine de personnes sont actuellement en garde à vue dans différents commissariats du pays. Ils sont interrogés, selon des sources proches du dossier, dans le cadre d’une enquête ouverte pour association de malfaiteurs et dégradations en bande organisée. Leur garde à vue pourrait durer jusqu’à 96 heures.

Intervention de la police antiterroriste

Il aura fallu attendre près d’une journée avant de recouper les informations et mesurer l’ampleur de l’opération policière. Lundi 5 juin à 21 h, les autorités n’avaient d’ailleurs toujours pas communiqué sur cette affaire. Contactée par Reporterre, la DGPN a seulement répondu de manière laconique qu’« une opération visant plusieurs objectifs a eu lieu aujourd’hui ». Selon différents témoins, présents lors des perquisitions, la BRI — la Brigade de recherche et d’intervention de la police — et la SDAT — la Sous-direction antiterroriste de la Direction centrale de la police judiciaire — auraient été mobilisées.

Dans la campagne tarnaise, le coup de filet de la police a provoqué un véritable choc. À six heures du matin, 70 policiers ont débarqué dans le petit village de Verfeil et bloqué la circulation. Deux personnes ont été arrêtées et emmenées en garde à vue à Toulouse.

« On avait l’impression qu’ils s’attendaient à trouver des armes »

« Je n’avais jamais vu un tel déploiement policier, a confié un voisin proche d’une des personnes arrêtées. Ils ont perquisitionné trois maisons dans le village et une autre à 10 kilomètres. La plupart étaient cagoulés et en treillis militaires, les armes en évidence. Mon amie qui a été arrêtée m’a confié son enfant de quatre ans, elle lui a dit qu’elle partait pour quatre jours. » Plusieurs colocations ont été perquisitionnées. Selon les avocats, des ordinateurs et du matériel informatique aurait été pris. Une affiche et des livres militants auraient été photographiés.

« C’étaient des arrestations ciblées, dit la colocatrice d’une des personnes arrêtées à Verfeil. Ils cherchaient des personnes en particulier. La police a fouillé plusieurs maisons avant de les trouver. Ils ont débarqué dans nos chambres et nous ont mis le dos au mur. Ils ont retourné le matelas et nos affaires, ils étaient très tendus. » « On avait l’impression qu’ils s’attendaient à trouver des armes », témoigne un autre occupant.

Des arrestations de Bayonne à Montreuil

Une personne a également été arrêtée à Toulouse, une autre à Bayonne, une également à Dijon, cinq à Montreuil et une dernière à Lyon, selon nos informations. Le parquet national antiterroriste a indiqué à Reporterre ne pas être impliqué dans ces interpellations. Le parquet d’Aix-en-Provence, compétent pour la commune de Bouc-Bel-Air, ne nous avait pas encore répondu à l’heure de la publication de cet article.

En décembre dernier, au cours d’une action, 200 militants avaient envahi une usine Lafarge et mené une série de sabotages entraînant 4 millions d’euros de dégâts, selon l’industriel. L’usine avait été recouverte de tags. Des sacs de ciment avaient été éventrés, l’incinérateur endommagé, des câbles sectionnés et des engins de chantier détruits. Une vidéo diffusée par LundiMatin retraçait la mobilisation.

« Rien ne les arrête, nous les arrêterons nous-mêmes »

« Lafarge-Holcim est un des plus gros pollueurs et producteurs de CO₂ du pays, expliquaient les activistes dans un communiqué. Rien ne les arrête, nous les arrêterons nous-mêmes, affirmaient-ils. Mettre en échec par les moyens adéquats les projets écocidaires d’aménagement du territoire et détruire les infrastructures qui les rendent possibles sont les seules options pour rendre le monde à nouveau désirable. »

Au cours des gardes à vue — qui risquent de durer jusqu’à quatre jours selon le chef d’inculpation d’association de malfaiteurs — les enquêteurs ont posé plusieurs questions sur la manifestation de Sainte-Soline aux militants. Ils leur ont aussi demandé s’ils aimaient Andréas Malm, l’auteur du livre Comment saboter un pipeline (La Fabrique, 2020) et s’ils cautionnaient « la théorie du désarmement ».

Des actions contre Lafarge prévues dans les prochains jours

Cela fait plusieurs mois que les autorités semblent préoccupées par l’essor de ce terme. Le désarmement est une nouvelle manière de légitimer l’écosabotage. Selon cette expression, il s’agit de « détruire les armes qui détruisent la planète ». D’après une note des renseignements territoriaux révélée par Reporterre, ce terme aurait permis de propager le sabotage dans le milieu écologiste et de le normaliser.

Pour des proches des inculpés, cette opération policière viserait surtout à mettre « un coup de pied dans la fourmillière ». Elle servirait à nourrir le dossier de dissolution des Soulèvements de la Terre qui peine aujourd’hui à avancer. Les Soulèvements de la Terre ont d’ailleurs apporté leur soutien aux personnes inculpées dans un communiqué diffusé lundi soir et rappellent qu’ils avaient soutenu cette « initiative de démantèlement salutaire » contre Lafarge.

Des actions sont prévues devant les usines Lafarge et les préfectures mercredi prochain et les Soulèvements appellent à venir en nombre à leur mobilisation le weekend prochain à Saint-Colomban contre les projets de carrières.

Il est frappant de voir que des services antiterroristes soient mobilisés dans cette affaire. La SDAT ne s’occupe pas d’ordinaire des mobilisations écologistes mais plutôt du nationalisme corse et du terrorisme islamiste, bien qu’elle ait été impliquée par exemple dans l’affaire dite de Tarnac.

« Assimiler aujourd’hui à du terrorisme l’usage légitime de la pince coupante, de la masse et de la clef à molette en vue de neutraliser des infrastructures est un inacceptable retournement ! Les centrales à béton sont des armes d’artificialisation massive des terres agricoles et de destruction de la biodiversité, des bombes à retardement climatique. Il est donc plus que jamais légitime et nécessaire de les désarmer », déclarent-ils.

Gaspard d’Allens sur Reporterre

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