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Vie politique : « Les jeunes sont aux avant-postes de ce qui est tout sauf un accident, mais la manifestation d’une sécession silencieuse »

Outre une modernisation indispensable du système électoral, les membres du cercle de réflexion Le Défi démocratique, qui réunit experts et élus, détaille, dans une tribune au « Monde », quatre axes (les institutions, la relation entre l’Etat et les territoires, l’action des administrations et le contrat social) sur lesquels travailler pour reconnecter la jeunesse à la vie politique.

Sonner l’alerte ! Si les résultats des élections régionales et départementales n’avaient qu’un seul mérite, il serait de mettre fin aux ritournelles éplorées mais stériles qui accompagnent la montée de l’abstention, pour forcer l’ensemble de la classe politique de notre pays à reconquérir, dans l’action, le cœur de nos concitoyens.

Le Défi démocratique, le cercle de réflexion que nous représentons, a été créé à cette fin : engager un travail sur la crise de la démocratie, loin des préjugés, fondé sur l’audition de responsables politiques et d’experts et sur la comparaison avec les Etats étrangers, fidèle à l’esprit de progrès qui anime le macronisme.

Nous saluons aussi l’initiative de Richard Ferrand d’installer, au sein de l’Assemblée nationale qu’il préside, une mission d’information sur l’abstention. Elle a été précédée par la décision de confier à l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information un rapport sur la généralisation des machines à voter, qui sera disponible à la fin de l’année 2021. Le mal est si profond qu’il n’y aura jamais trop de docteurs au chevet de notre démocratie.

Une réalité inquiétante

Seuls les professionnels du déni auront été surpris de l’abstention des récents dimanches du 20 et 27 juin. Tous les scrutins locaux annonçaient ce nouveau record, autour de 66 %. Mais la désertion quasi totale des urnes par les jeunes, neuf sur dix des 18-24 ans n’ayant pas pris part au vote, confère au phénomène général un surcroît de violence. La démocratie pas plus que le peuple ne se saucissonne.

Il n’est pourtant pas inintéressant de faire des générations dont nous avons la responsabilité de construire l’avenir, le groupe témoin de la crise de défiance qui, lentement mais sûrement, s’attaque aux fondations de notre pays. Les jeunes sont aux avant-postes de ce qui est tout sauf un accident, mais la manifestation d’une sécession silencieuse, un dernier avertissement sans frais.

Il n’y a rien de plus faux de prétendre que, parce qu’ils votent de moins en moins, ils ne s’intéresseraient plus à la politique. La réalité est plus inquiétante : un abîme s’est creusé entre les valeurs qui les animent, très affirmées notamment en termes de justice, de solidarité, d’engagement concret dans la vie de la cité, d’environnement, et l’offre politique que nous leur proposons.

Modernisation des processus électoraux

Cette déconnexion les incite à chercher d’autres manières de s’impliquer dans le débat public, plus en phase avec leur quête de sens : associations, comités de quartier… Sans oublier le service national universel (SNU), inventé par le président Macron, dont le succès inflige un démenti cinglant à la thèse d’une génération perdue pour la cause publique.

Ce qui est vrai pour les jeunes est une vérité pour l’ensemble des Français, dont ils sont le miroir grossissant : les causes de la crise démocratique sont innombrables et donc les remèdes à lui administrer multiples, complexes et entremêlés. Les modalités de vote en font évidemment partie, même si ce serait une erreur d’y voir l’alpha et l’oméga du flux et du reflux de l’abstention.

A première vue, il peut sembler incongru de demander à un étudiant de jouer son avenir sur une plate-forme Internet (Parcoursup), tout en plaidant auprès de lui la vertu symbolique de l’isoloir pour choisir celui de son pays ! A l’évidence, nous devons moderniser les processus électoraux, en nous inspirant des retours d’expérience précieux de l’étranger et en triant bonnes et fausses-bonnes idées.

Les indispensables pistes de réflexion

Vote par correspondance, par anticipation, électronique (pour le scrutin européen de 2024 ?), inscription automatique sur les listes électorales, assouplissement des règles de campagne (affichage, réseaux sociaux, crowdfunding), recours facilité au référendum (populaire dans la jeunesse), etc. Aucun tabou. Seulement de l’audace et autant de discernement !

Une fois accomplie cette indispensable modernisation, nous n’aurons réalisé qu’une petite partie du chemin. Notre cercle de réflexion a identifié quatre terrains d’étude qui participent de notre crise démocratique : les institutions, la relation entre l’Etat et les territoires, l’action des administrations et le contrat social.

La réponse – nécessairement ambitieuse – doit couvrir ces quatre domaines étroitement liés. Le rejet par les jeunes de la politique telle qu’elle se pratique dans notre pays s’y manifeste avec encore plus d’éclat que dans l’ensemble de la population : verticalité du pouvoir, lourdeur du processus législatif, difficulté à faire entendre sa voix entre les scrutins, fossé croissant entre le service public d’excellence et celui de qualité médiocre, consentement de plus en plus friable aux règles de vie collectives (impôts, ordre public…).

Reconstruire l’architecture du pouvoir politique

Malheureusement, dans cette embarcation du refus ou de la résignation, de plus en plus d’anciens jeunes montent aussi à bord. Les scrutins régionaux et départementaux ont illustré ce grand désordre, jusqu’à la caricature. Au premier rang duquel figure l’incompréhension des compétences respectives des communes, des départements et des régions. Puisque nous parlons des jeunes, pourquoi des administrations différentes s’occupent-elles de l’entretien des bâtiments de l’école, du collège, du lycée et des universités, alors que l’Etat conserve la haute main sur les programmes et la tutelle des enseignants ?

Quand la politique s’en mêle, la confusion est à son comble. En témoigne l’omniprésence des thèmes sécuritaires durant la récente campagne, quand les régions n’ont qu’une compétence marginale sur le sujet. Partiellement engagée par la loi « 3DS » en cours de discussion au Parlement, la remise à plat de la décentralisation devra figurer, à une tout autre échelle, au programme de notre reconquête démocratique.

Notre cercle de réflexion, sur ce sujet comme sur les autres, travaille sans a priori sur toutes les options, par exemple en remettant à l’étude l’intérêt du conseiller territorial, commun aux régions et aux départements. Reconstruire de fond en comble l’architecture du pouvoir politique, administratif et territorial du XXIe siècle, nous le devons à tous nos concitoyens. Mais plus encore à ceux qui auront la responsabilité du rayonnement de la France et de l’épanouissement de sa population dans les décennies futures.

Pierre Daems, conseil en transformation d’organisations ; Nöllan Ducloux, président des Jeunes de France ; Elise Fajgeles, députée suppléante de Paris (LRM) ; Isabelle Florennes, députée des Hauts-de-Seine (MoDem) ; Romain Grau, député des Pyrénées-Orientales (LRM) ; Danièle Hérin, députée de l’Aude (LRM) ; Dimitri Houbron, député du Nord (LRM) ; Anissa Khedher, députée du Rhône (LRM) ; Gilles Le Gendre, député de Paris (LRM) ; Patrick Loiseau, député de Vendée (MoDem) ; Romain Rambaud, professeur des universités ; Virginie Saks, conseil d’entreprises et de collectivités territoriales. Tous les signataires sont membres du cercle de réflexion Le Défi démocratique.

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