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Economie, démographie, équité… 12 raisons pour lesquelles l’immigration est bénéfique

12 bonnes raisons pour convaincre vos amis,  vos voisins,  vos adversaires… MCD

Dans « Them and us », le Britannique Philippe Legrain défend, avec des chiffres, les avantages de l’immigration et pourfend les idées reçues. Un plaidoyer majeur!

« L’immigration est aujourd’hui, sans doute, le sujet le plus controversé dans les pays occidentaux », estime Philippe Legrain dans son livre « Them and us ».

Le 19 octobre 1885, Friedrich Trumpf, jeune apprenti coiffeur sans le sou qui a fui l’Allemagne pour échapper au service militaire obligatoire, débarque à New York. Rebaptisé Frederick Trump, l’immigré fera fortune avec des restaurants (et des bordels) dans les villes minières durant la ruée vers l’or. Friedrich Trumpf était l’un des soixante millions d’Européens pauvres qui ont émigré vers les Etats-Unis entre 1820 et 1920, à une époque où les Allemands étaient victimes de préjugés de la part de la majorité anglophone. Un parcours qui n’empêchera pas son petit-fils, Donald Trump, de faire de l’immigration l’une de ses cibles préférées, qualifiant les clandestins mexicains de meurtriers et violeurs, vantant un mur largement mirifique (seuls 700 kilomètres sur les 1600 kilomètres promis ont été édifiés entre les Etats-Unis et le Mexique) ou signant un décret interdisant l’entrée sur le territoire américain aux citoyens de plusieurs pays musulmans.

« L’immigration est aujourd’hui, sans doute, le sujet le plus controversé dans les pays occidentaux. Nos sociétés (relativement) ouvertes et libérales sont menacées par des personnes qui rendent responsables les étrangers en général, et les immigrés en particulier, pour tout ce qui selon eux ne va pas dans nos vies et sociétés » écrit Philippe Legrain dans Them and us. Alors que le rejet de l’immigration a été le moteur du populisme comme du vote pour le Brexit, cet essayiste britannique, ancien journaliste à The Economist et conseiller de José Manuel Barroso à la Commission européenne, livre un plaidoyer assumé.

Malgré le Covid-19 et les crispations politiques, le phénomène ne s’arrêtera pas prévient Philippe Legrain. En 2018, on estimait à près de 272 millions le nombre de personnes vivant en-dehors de leur pays de naissance, soit 56% de plus qu’en 2000. Même si les migrants restent une petite minorité, représentant moins d’une personne sur 28 dans le monde.

Them and us se lit comme une réponse libérale à des récents livres à succès contre l’immigration, venant de figures de gauche (Exodus de Paul Collier, Les deux clans : la nouvelle fracture mondiale de David Goodhart) comme de droite (L’étrange défaite de l’Europe de Douglas Murray). Si on peut reprocher à Philippe Legrain une argumentation légère ou biaisée sur les questions des tensions culturelles comme des liens qui font débat entre immigration et violences, son essai s’avère nettement plus convainquant sur le plan économique et philosophique. Voici douze raisons pour lesquelles, selon lui, l’immigration est un phénomène très positif.

1) Les mouvements de population ont eu lieu depuis la nuit des temps

Les humains ont toujours été en mouvement. Originaires d’Afrique, nos ancêtres se sont répandus sur chaque continent. Historiquement, les notions d' »autochtones américains », de « Français de souche » ou d' »aborigène australien » n’ont donc aucun sens. « Nous sommes tous des migrants à un certain niveau de notre arbre généalogique » explique Philippe Legrain, qui rappelle que les immigrés suivent la même trajectoire économique que les personnes passant de zones rurales aux grandes villes. Seule différence : « il se trouve qu’il y a une frontière sur leur chemin »…

2) Nous surestimons les flux migratoires dans les pays riches

Dans les pays riches, les personnes ont tendance à doubler dans leur esprit le nombre d’immigrés présents sur le territoire. Selon les sondages, les Britanniques estiment ainsi qu’un résident sur quatre est un immigré (c’est en réalité un sur huit). Des pays comme les Etats-Unis ou la Grande Bretagne, où les réactions politiques contre l’immigration ont pourtant eu des conséquences importantes, surestiment le phénomène, alors que les chiffres sont dans la moyenne des pays riches, où environ un résident sur sept est né dans un pays étranger. Cette proportion s’avère bien plus importante dans les pays du Golfe. A Dubaï ou Abou Dabi, huit résidents sur neuf sont nés à l’étrangers. Au Liban, c’est un quart de la population, principalement des Palestiniens et des Syriens. A Singapour, cité-Etat souvent présentée comme un modèle par les souverainistes, quatre personnes sur dix sont des immigrés. En Australie, c’est trois sur dix, et au Canada un sur cinq.

Comme l’ont rappelé les prix Nobel Esther Duflo et Abhijit Banerjee dans Economie utile pour temps difficiles (Seuil), les données montrent que la plupart des personnes qui auraient économiquement intérêt à se déplacer ne le font pas parce qu’elles valorisent leur environnement familier, et surestiment les risques qu’il y a à aller dans un lieu inconnu. Même au sein de l’Union européenne où la libre-circulation des ressortissants est garantie, les expatriés restent ainsi une minorité.

3) L’immigration est bénéfique pour l’économie mondiale

Selon une étude de l’économiste Michael Clemens du Centre pour le développement mondial, l’abolition des barrières frontalières empêchant la libre circulation des personnes pourrait plus que de doubler l’économie mondiale. Celle-ci, avant le Covid-19, s’élevait à 88 billions de dollars. Selon le McKinsey Global Institute, les migrants, qui en 2019 représentaient 3,4% de la population mondiale, contribuaient à près de 10% de la production économique mondiale. Ils ont apporté 6,7 billions de dollars à l’économie mondiale, soit 3 billions de plus que ce qu’ils auraient produit dans leur pays d’origine. Philippe Legrain souligne d’ailleurs le paradoxe des droites américaine ou européenne qui sont généralement en faveur du commerce, mais aujourd’hui principalement hostiles à l’immigration.

4) L’immigration stimule l’innovation

On doit l’application Zoom à Eric Yuan, un Américain d’origine chinoise qui a dû faire neuf demandes de visa pour rejoindre la Silicon Valley. WhatsApp a été co-créé par Jan Koum, réfugié ukrainien venu aux Etats-Unis à l’âge de seize ans, et dont le premier travail a consisté à faire le ménage dans une épicerie. Ces « success-stories » ne sont pas une exception. Près de la moitié des start-up dans la Silicon Valley ont été co-fondées par des immigrés. En 2016, ils avaient aussi co-fondé plus de la moitié des 87 licornes américaines (les start-up valorisées à plus d’un milliard de dollars). En 2018, les immigrés étaient deux fois plus enclins à fonder une entreprise que les personnes nées aux Etats-Unis.

De même, en Grande-Bretagne, neuf des 14 licornes ont un co-fondateur immigrés, à l’image de Deliveroo. En Allemagne, 42% des nouvelles entreprises étaient en 2015 fondées par une personne au passeport étranger. Là-bas, les étrangers avaient six fois plus de probabilité de créer une entreprise que des personnes nées en Allemagne.

Comme l’explique Philippe Legrain, les immigrants tendent à être plus entreprenants du fait de leur parcours. Ils peuvent aussi être frustrés par le manque d’opportunité sur le marché du travail. Dans les pays européens, les immigrés sont également surreprésentés en matière de dépôts de brevets. Selon une étude de McKinsey menée en 2015, les entreprises qui étaient dans le meilleur quartile en matière de diversité ethniques avaient 35% plus de chances d’avoir des rendements financiers au-dessus de la moyenne. Selon le Boston Consulting Group, les entreprises qui ont des équipes de management plus diverses sont plus innovantes et donc rentables.

5) C’est un apport de cerveaux

Contrairement à une idée reçue, les immigrés hautement qualifiés sont plus nombreux que ceux faiblement qualifiés dans les pays de l’OCDE, et leur part ne cesse de grandir. En 2015-2016, un tiers des immigrés dans ces pays riches avaient une formation universitaire. La moitié des nouveaux arrivants depuis le début du siècle étaient allés à l’universités, bien plus que les autochtones (en moyenne, trois actifs sur huit).

En général, ceux qui ont un diplôme universitaire sont quatre fois plus susceptibles de migrer que ceux avec moins de diplômes. Plus de trois lauréats d’un prix Nobel en sciences sur dix travaillent à l’étranger. Plus de la moitié des scientifiques en Suisse sont des immigrés. En Australie, plus de la moitié des médecins sont nés à l’étranger. En Grande-Bretagne, 37% des médecins hospitaliers travaillant pour le National Health Service (NHS) ont été formés à l’étranger. Aux Etats-Unis, plus d’un quart des résidents avec un doctorat ne sont pas nés sur le territoire, un chiffre qui s’élève à 58% pour les doctorats en sciences de l’informatique.

Comme le souligne Philippe Legrain, des pays se livrent ainsi à une vraie compétition pour attirer cette immigration diplômée. En Australie, 65% des immigrés arrivés de 2006 à 2016 avaient une formation post-bac (et trois-quart d’entre eux un diplôme universitaire). Au Canada, près de la moitié des immigrés entre 25 et 54 ans en 2018 possédaient un diplôme universitaire. Une ville cosmopolite comme Toronto rivalise désormais avec la Silicon Valley, les investissements en capital risque dans des start-up y ayant quadruplé de 2013 à 2018.

Giovanni Peri, chercheur à l’Université de Californie, a montré que les villes américaines qui attirent le plus de travailleurs étrangers qualifiés en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques (STEM) ont vu les salaires augmenter de manière plus rapide pour les actifs diplômés comme pour les moins qualifiés. L’explication ? Alors que des immigrés se spécialisent dans des secteurs très qualifiés comme le code, les locaux occupent des fonctions complémentaires comme la communication ou le marketing. Selon cet économiste, l’apport de ces travailleurs qualifiés expliqueraient entre 30 à 50% des gains des productivité aux Etats-Unis entre 1990 et 2010.

6) Les immigrés non qualifiés bénéficient aussi à l’économie locale

« Ils prennent nos emplois. Ils prennent nos emplois industriels. Ils prennent notre argent. Ils sont en train de nous tuer », affirmait Donald Trump en 2015 à propos des immigrés mexicains. Pourtant, les données prouvent le contraire.

Les immigrés non qualifiés sont plus enclins à accepter des emplois moins attractifs pour les populations locales. Comme l’a mise en lumière la crise du Covid-19, ces tâches sont indispensables pour une société, que ce soit la livraison, le ménage dans les hôpitaux ou la maintenance dans les rayons de supermarchés. D’autant plus que les immigrés non qualifiés ne sont souvent pas des concurrents pour la main d’oeuvre locale : ils ne maîtrisent pas les subtilités de la langue, ne sont pas familiers des coutumes comme des pratiques professionnelles, et ont un réseau nettement moins développé. Dans les faits, les immigrés prennent ainsi souvent des emplois dont plus personne ne veut. Même des jeunes Américains sans diplômes n’acceptent par exemple plus des travaux saisonniers comme la récolte des fruits ou légumes, tandis que les étudiants préfèrent désormais faire des stages durant l’été.

Et contrairement à une idée reçue, dans les économies modernes, ces emplois faiblement qualifiés ne disparaissent pas, au contraire. Aux Etat-Unis, treize des vingt fonctions qui devraient connaître une importante croissance dans les dix prochaines années sont moins rémunérées que le salaire médian. Cela inclut les salariés dans les restaurants de fast-food, les serveurs, les cuisiniers ou les agents d’entretien.

La thèse « trumpiste » selon laquelle les immigrés voleraient les emplois des populations locales repose également sur une vision erronée du marché, qui n’est pas figé. Quand les femmes sont entrées en nombre sur le marché de l’emploi après la Seconde Guerre mondiale, elles n’ont pas privé les hommes de travail. En dépensant leur salaire, les personnes dopent notamment la consommation.

« De nombreux pays ont aujourd’hui plus d’immigrés qu’ils n’en avaient en 2000, et pourtant jusqu’à la crise du coronavirus, les taux de chômage étaient à un niveau historiquement bas aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou en Allemagne. L’emploi chez les personnes nées au Royaume-Uni était à des niveaux records. Ailleurs en Europe, le chômage a nettement baissé ces dernières années. Il est difficile d’argumenter que les immigrés dans leur ensemble privent les locaux d’emplois », note Philippe Legrain.

Des enquêtes, comme celle du Migration advisory committe en 2018 sur les les migrants de l’espace économique européen (EEE) au Royaume-Uni, confirment que l’impact des immigrés sur l’emploi des autochtones est faible ou inexistant. Selon une étude du FMI menée par Florence Jaumotte, les migrations augmentent les niveaux de vie des populations locales. Une augmentation d’un point de la proportion des migrants dans une population tend à augmenter le PIB par personne de 2% sur le long terme.

7) Un antidote contre le déclin démographique

Avec sa population ethniquement homogène, le Japon représente un fantasme pour les adeptes des thèses d’Eric Zemmour. Pourtant, 2,7 millions d’étrangers y vivent aujourd’hui, soit 2,1% de la population. A Tokyo, un résident sur 25 est étranger. Le nombre de travailleurs étrangers au Japon a doublé durant les cinq dernières années. Une conséquence directe du fait que le Pays du Soleil levant possède la population la plus vieille du monde. Près de trois Japonais sur dix ont soixante-cinq ans ou plus, et près de 5,5 millions d’entre eux (sur une population de 127 millions) a besoin de soins médicaux. Le gouvernement a certes investi des millions dans des robots pour que ceux-ci servent d’auxiliaires aux personnes âgées, mais cela ne suffira pas dans un pays où l’âge médian est déjà de 48 ans, et qui en 2040 passera à 55 ans sans immigration. Même un Etat comme le Japon, qui a longtemps privilégié son homogénéité ethnique et culturelle au détriment de son dynamisme économique et de sa dette publique, doit ainsi se résoudre à changer de modèle et à ouvrir ses frontières.

En l’absence de migration, l’Europe se retrouvera en 2040 dans la même situation que le Japon. En 2018, dans l’Union européenne, il y avait 3,3 personnes en âge de travailler pour une personne retraitée. Sans immigration, il n’y en aura plus que deux pour un en 2040.

8) Non, les immigrés ne « chassent » pas les aides des Etats-providence, mais y contribuent plutôt

L’idée que les immigrés se livreraient à un « tourisme aux bénéfices sociaux » n’est pas confirmé par les données. Quand la Pologne a rejoint l’Union européenne en 2004, seuls trois pays riches ont accordé à ses ressortissants la possibilité de s’installer immédiatement : le Royaume-Uni, l’Irlande et la Suède. Alors que le pays scandinave a l’un des Etats-providences les plus généreux du monde, les Polonais ont pourtant plébiscité les deux îles. Les quelques milliers qui se sont rendus en Suède l’ont principalement fait pour y travailler.

Etant majoritairement jeunes, en bonne santé, en âge de travailler, les immigrés représentent dans les faits un apport positif pour les Etats-providence. D’autant plus qu’une partie importante d’entre eux retournent dans leur pays natal avant la retraite. Selon les calculs de l’OCDE, dans la majorité des pays riches, les immigrés ont représenté une contribution positive aux finances publiques sur la période entre 2007 et 2009. En 2012, en Allemagne, les étrangers payaient par exemple 3300 dollars de plus en impôts et contributions sociales qu’ils ne percevaient d’aide.

Des données confirmées par une étude de Ian Goldin, professeur à Oxford, datant de 2018, et qui montre que les contributions fiscales des immigrés sont largement positives aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en France, en Allemagne ou en Italie. En moyenne, ils bénéficient de moins d’aides sociales que les autochtones. Mais Ian Goldin rappelle que l’immigration a aussi un coût, principalement à travers la concentration des immigrés dans des zones géographiques qui mettent les services publics et les infrastructures sous pression.

Les immigrés ont également un impact positif sur le poids de la dette. Selon l’Office for Budget Responsibility au Royaume-Uni, un excédent migratoire élevé (245 000 personnes par année) entraînerait dans ce pays une dette publique nettement moins importante à l’avenir qu’une immigration faible (85 000 par année).

Philippe Legrain rappelle aussi que dans les pays riches, une part importante des soignants sont d’origine étrangère. Plus d’un tiers des médecins, dentistes ou pharmaciens au Royaume-Uni sont nés à l’étranger. Au Canada aussi, plus d’un tiers des médecins sont des immigrés. En Australie, c’est même la moitié des médecins qui sont des immigrés.

9) Les immigrés aident leur pays d’origine

Les envois de fonds des migrants (ou « remittances ») vers leur pays d’origine ont un impact énorme sur des pays pauvres, à l’image des îles Tonga (où les envois des expatriés représentent 38,5% de l’économie locale) ou du Népal (près de 30% de l’économie). Dans les Etat pauvres, cette redistribution informelle bénéficie à des besoins primaires, mais aussi à des investissements ou à la scolarisation.

En revanche, pour l’économiste Paul Collier, l’immigration provoquerait une dommageable fuite des cerveaux pour les pays pauvres. Un argument que réfutent d’autres économistes comme Michael Clemens du Centre pour le développement mondial, qui explique l’émigration de personnes diplômées, loin de provoquer une pénurie de médecins ou personnels qualifiés, encourage au contraire d’autres personnes à suivre les mêmes études. Les Philippines se sont par exemple spécialisées dans la formation des infirmières destinées à « l’exportation », ce qui n’empêche pas ce pays d’avoir toujours plus d’infirmières par habitants que le Royaume-Uni.

Par ailleurs, une part conséquente d’expatriés reviennent dans leur pays natal pour y investir. Plus de la moitié des émigrés turcs de retour Turquie créent par exemple une entreprise. A l’inverse, une nation comme Cuba empêche la plupart de ses citoyens d’émigrer, une rétention qui n’a pas rendu ce pays particulièrement prospère.

Selon Philippe Legrain, ces expatriés apportent aussi des bénéfices politiques. En se rendant dans des pays plus démocratiques ou plus égalitaires pour les femmes, des exilés transmettent ensuite ces idées libérales dans leur pays d’origine. En Afrique du Sud, des leaders exilés de l’ANC ont par exemple contribué à lutter contre l’apartheid. Première femme a être élue au suffrage universel en Afrique, la Libérienne Ellen Johnson Sirleaf est diplômée de l’université Harvard. Il y a bien sûr des exceptions à cela : Bachar Al-Assad a fait des études d’ophtalmologie à Londres, ce qui ne l’a pas empêché de devenir un dictateur particulièrement brutal.

10) Les contrôles renforcés aux frontières représentent un coût astronomique

Entre la création en 2003 du Département de la Sécurité intérieure aux Etats-Unis et 2019, le gouvernement fédéral américain a dépensé 324 milliards de dollars pour renforcer les contrôles migratoires. Le budget annuel de la Patrouille frontalière a augmenté de près de 19 fois depuis 1990, s’élevant à 4,7 milliards de dollars en 2019. Dans l’Union européenne, le budget pour la sécurité aux frontières s’élève à 31 milliards d’euros pour 2021-2027. Les Etats européens financent aussi des pays comme la Libye pour durcir les contrôles côtiers.

Plus ces contrôles se renforcent, plus les réseaux criminels et les cartels de la drogue ont des opportunités. Passer en contrebande aux Etats-Unis peut vous coûter jusqu’à 3600 dollars quand on est Mexicain, et plus de 10 000 dollars quand on vient d’Amérique centrale. Au total, le marché de la contrebande de personnes pourrait s’élever à 10 milliards de dollars dans le monde selon l’Organisation internationale pour les migrations.

Le bilan humain est encore plus lourd. De 2014 à 2018, au moins 2000 personnes sont mortes sur la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique. Depuis 2000, près de 2000 personnes sont mortes en essayant de rejoindre l’Australie par la mer. Et entre 2014 et 2019, près de 19 000 migrants ont disparu en essayant de traverser la Méditerranée.

Selon Philippe Legrain, ces contrôles ont aussi un effet pervers en retenant les migrants clandestins dans leur pays de destination. Alors que les données montrent que la plupart des migrants ne veulent se déplacer que de manière temporaire, ces mesures tendent à transformer les migrants temporaires en permanents au sein des pays riches. Et ils ont un coût en matière de mixité sociale, encourageant des migrants clandestins à faire des mariages arrangés au sein de leur communauté fin d’obtenir un visa.

11) Les immigrés vilipendés hier sont aujourd’hui souvent présentés comme des citoyens modèles

35 Vietnamiens à bord d’un « boat people » attendant d’être secourus après huit jours en mer, en 1984.

Après la défaite du Vietnam du Sud soutenu par les Américains en 1975, des réfugiés à bord d’embarcations de fortune, baptisées « boat people », commencent à fuir le pays, bravant les naufrages, les pirates ou les garde-côtes pour rejoindre des camps. Ces réfugiés vietnamiens, perçus à l’époque comme indésirables, sont aujourd’hui présentés comme des modèles. Alors que la plupart d’entre eux ne parlaient pas ou peu l’anglais, les Américains originaires du Vietnam ont désormais des revenus plus élevés que les personnes nées aux Etats-unis.

Selon Philippe Legrain, l’intégration se fait ainsi bien plus rapidement qu’on ne le pense. Contrairement aux peurs véhiculées par les partis d’extrême droite, la plupart des immigrés apprennent la langue de leur pays d’adoption. Au Royaume-Uni, en France ou en Italie, près de 90% des résidents parlent la langue nationale de manière fluide. Aux Etats-Unis, seuls 6% des enfants d’immigrés hispanophones parlent essentiellement l’espagnol plutôt que l’anglais.

En contrepartie, peu d’immigrés disent souffrir de discriminations. Seul un immigré sur sept dans les pays de l’OCDE dit avoir été discriminé sur la base de son ethnicité ou sa nationalité, même si ce chiffre monte en France à un sur cinq en ce qui concerne les immigrés originaires de pays hors de l’Union européenne.

Comme le montrent les données, les personnes sont devenues bien plus tolérantes par rapport aux mariages mixtes. Selon le Pew Research Center, alors que 63% des Américains blancs étaient encore opposés en 1990 à ce qu’un proche parent épouse une personne noire, ce chiffre n’était en 2016 plus que de 14%. De la même façon, en 1998, ils étaient 21% d’Américains à s’opposer à un mariage d’un proche parent avec une personne hispanique, contre 9% en 2016.

Philippe Legrain souligne que les tensions identitaires se focalisent en ce moment sur les immigrés de culture musulmane, qui tendent à être plus conservateurs que les populations locales. Mais là aussi les mariages mixtes sont en plein essor (en France, ils concernent près de la moitié des musulmans).

Si le multiculturalisme poussé à son extrême enferme les immigrés dans des cases identitaires, l’essayiste se dit optimiste sur l’essor des valeurs libérales. Des valeurs, comme l’égalité entre femmes et hommes ou nos institutions démocratiques, qu’il faut selon lui défendre contre les islamistes, mais aussi contre les extrémistes nationalistes.

12) Parce que c’est moral

Pour Philippe Legrain, laisser la « loterie de la vie » dicter l’existence des personnes en fonction du lieu de naissance est non seulement mauvais sur le plan éthique, mais c’est aussi une aberration économique, chaque personne ne pouvant tirer le maximum de son potentiel si on la force à rester dans son pays natal. « La discrimination sur la base de caractéristiques que nous ne contrôlons pas – comme la race, le genre et la sexualité – n’est plus acceptée ; pourquoi serait-il alors toujours acceptable de discriminer des personnes sur la base de leur lieu de naissance? Surtout quand on sait que l’accident que représente la naissance – à savoir si vous venez au monde aux Etats-Unis en héritant des millions ou naissez en Afrique avec des parents paysans – détermine tant de choses » souligne-t-il.

Philippe Legrain

Them and us : How immigrants and locals can thrive together, de Philippe Legrain (Oneworld)

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