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Egalité entre femmes et hommes : « Je place beaucoup d’espoir dans les jeunes générations »

L’ancienne présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes Danielle Bousquet raconte, dans un entretien au « Monde », plusieurs siècles de lutte féministe.

Ancienne députée socialiste, ancienne présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, Danielle Bousquet vient de prendre la tête de la Fédération nationale des centres d’information sur les droits des femmes et des familles. A l’occasion du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, celle qui a aussi dirigé l’ouvrage Le Féminisme pour les nul(le)s (éditions First, 2019) évoque les combats féministes d’hier et de demain.

Quelles sont, selon vous, les avancées marquantes dans l’histoire des droits des femmes ?

Danielle Bousquet : Je crois déjà qu’on peut se réjouir de l’existence d’une Journée internationale des droits des femmes.

Les choses ont évidemment beaucoup progressé en France depuis la Révolution, qui fut un rendez-vous raté pour les femmes. On oublie souvent que, dès cette époque, les femmes ont manifesté leur volonté d’être des citoyennes à part entière en demandant le droit de vote.

Mais quand on parle du suffrage universel, il faut rappeler que, jusqu’en 1944, il s’agissait d’un non-suffrage pour la moitié de la population ! Il aura fallu 65 propositions de loi pour y arriver. Puis vinrent les revendications d’autonomie des années 1950-1970, incarnées par le slogan « Mon corps m’appartient » et qui ont abouti à 1967 (loi Neuwirth qui autorise la contraception) et 1975 (loi Veil qui dépénalise l’IVG), deux victoires importantes. Avant cette maîtrise de la contraception, les femmes ne pouvaient envisager d’avoir une quelconque vie personnelle. Leur existence tout entière était rythmée par les grossesses et les enfants.

Ensuite, des années 1970 à la fin du XXe siècle, les combats féministes ont tourné autour de la lutte contre toutes les formes de violences : violences conjugales, viol, harcèlement… C’est la phase d’institutionnalisation, la mise en œuvre de politiques publiques pour lutter contre les violences qui sortent du cadre privé. Enfin, depuis le début du XXIe siècle, on assiste à une explosion de nouvelles formes de luttes féministes, avec la création d’un grand nombre de petites associations, de mouvements activistes. L’utilisation d’Internet et des réseaux sociaux a permis de mettre sur la place publique des revendications anciennes et nouvelles. Je place beaucoup d’espoir dans les jeunes générations.

Vous évoquez les combats autour du corps des femmes. Le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), mis à mal dans plusieurs pays européens, vous semble-t-il acquis ?

Je crois qu’en France le droit d’accès à l’IVG est globalement acquis partout. C’est un acte désormais admis, puisqu’une femme sur trois aura recours à une IVG au cours de sa vie. La difficulté porte sur l’effectivité de ce droit, et sur le fait que l’accès n’est pas identique sur l’ensemble du territoire. Résultat : certaines femmes ont du mal à y recourir dans le délai de douze semaines prévu par la loi.

Quels sont les combats prioritaires ?

Ce qui structure de longue date l’ordre social en France, ce sont les inégalités entre les hommes et les femmes. Dire cela n’est pas une posture idéologique. Dans notre pays, 80 % des personnes précaires sont des femmes, l’écart moyen des salaires entre femmes et hommes est de 24 %, 75 % des tâches domestiques et familiales sont effectuées par les femmes, 200 000 femmes sont victimes de violences conjugales chaque année, 80 000 de viols…. Bien que le sujet soit très souvent évoqué, que des lois aient été votées, les inégalités n’ont pas disparu. On confond l’égalité réelle et l’égalité formelle. Certes, il y a des lois sur l’égalité salariale, mais elles ne sont pas appliquées et ne prévoient aucune sanction, donc rien ne change.

La lutte contre les inégalités professionnelles et le combat pour le partage des tâches ménagères, qui sont liés, me semblent très importants. Aujourd’hui encore, le simple fait que les femmes soient susceptibles d’avoir des enfants fait qu’elles ne connaissent pas les mêmes carrières, les mêmes salaires et les mêmes évolutions que les hommes. Aucune femme ne dirige un groupe du CAC 40, c’est assez significatif.

Le Grenelle contre les violences conjugales a fait émerger cette problématique. Les mesures annoncées vous semblent-elles suffisantes ?

En France, en 2018, le budget affecté à la lutte contre les violences conjugales s’élevait à 80 000 euros. La même année, le rapport du Haut Conseil à l’égalité évaluait à 500 000 euros le budget minimum nécessaire pour accompagner les femmes victimes de violences qui avaient porté plainte. On est très loin de faire une priorité de ces enjeux qui sont pourtant déterminants. Cela passe par des moyens financiers, mais aussi par un investissement massif dans l’éducation à l’égalité entre les filles et les garçons, pour permettre aux jeunes de comprendre ce qu’est le consentement et le respect. On en parle, on dit qu’on le fait mais on est très loin du compte. C’est un énorme chantier que l’Etat doit prendre à bras-le-corps, il faut une vraie institutionnalisation avec un budget conséquent.

Pour beaucoup de féministes, la remise du César de la meilleure réalisation à Roman Polanski a été très mal vécue. Qu’est-ce que cela traduit selon vous ?

Dans l’esprit de chacun, le monde des arts et de la culture est vu comme un milieu ouvert et évolué. En réalité c’est un secteur misogyne, tenu par des hommes et où règne un système de cooptation qui éloigne les femmes des postes de pouvoir. C’était assez frappant de voir, au moment de #metoo, que peu de personnalités des milieux culturels se sont exprimées, à la différence des Etats-Unis d’où sont partis, justement, les témoignages. Depuis un an ou deux, des artistes ont commencé à parler et on les a écoutées, mais c’est encore assez timide. Une partie de ce monde assez sclérosé continue à vivre comme avant. Je comprends parfaitement que ça ait été insupportable pour Adèle Haenel (qui a quitté la cérémonie des Césars) et d’autres.

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