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Femmes afghanes : « La France, si prompte à affirmer conduire une diplomatie féministe, a les moyens d’agir pour elles »

Dans une tribune  plus de 350 personnalités, parmi lesquelles l’écrivaine Virginie Despentes et la réalisatrice Agnès Jaoui, demandent aux autorités françaises la mise en place d’un programme d’accueil humanitaire d’urgence pour les Afghanes qui ont fui au Pakistan ou en Iran.

Elles ont eu, pendant deux décennies, une fenêtre sur la vie, la vraie, celle qui consent le rêve. Vingt ans durant, à grand renfort de programmes d’éducation, de bourses universitaires, on a poussé les Afghanes à y croire. Elles ont repris le chemin de l’école, obtenu des diplômes en droit, en « women’s studies ». Dans le département d’astronomie de l’université américaine de Kaboul, un télescope fixait leur horizon à des années-lumière de là.

Puis tous ces rêves sont devenus obsolètes. Et leurs diplômes, inutiles. Car en août 2021, dans un odieux et retentissant clap de fin, leur président a fui, les ambassades ont quitté le pays, le grand « empowerment » a pris fin. Les talibans ont repris du jour au lendemain le pouvoir, instaurant le règne des mollahs.

Entre 2001 et 2021, le pourcentage de filles inscrites à l’école primaire en Afghanistan est passé de 0 % à 40 %. Le nombre d’étudiantes à l’université a été multiplié par 20, passant de 5 000 femmes à 100 000. Les femmes composaient 26 % du service public. En 2023, les compteurs ont été remis à zéro, de force. Par la seule volonté d’une dictature illégitime.

Nouveaux dangers

Aujourd’hui, l’Afghanistan est le seul pays au monde où les fillettes ne peuvent plus aller à l’école au-delà de l’âge de 12 ans et où les femmes n’ont plus le droit d’accès à l’université. La majorité des femmes n’ont plus le droit de travailler, plongeant d’innombrables familles dans la pauvreté. Les filles et les femmes sont traquées, battues, en toute impunité. Coupables de tout, elles ne valent plus rien. L’Afghanistan est le pays le plus répressif pour le droit des femmes et des filles.

A l’été et à l’automne 2021, des évacuations menées par des pays et des initiatives privées, au milieu du chaos, ont permis d’évacuer un nombre important d’Afghans et d’Afghanes. Mais les femmes, en particulier les femmes seules et qui ne disposaient pas de l’entregent nécessaire, ont été largement délaissées. Pour elles, il ne subsiste aujourd’hui que des initiatives ponctuelles, menées souvent à bout de bras par des journalistes, des chercheurs, des organisations, pour leur permettre de quitter l’Afghanistan au compte-gouttes.

Quand elles arrivent à franchir la frontière, et rejoignent des pays limitrophes comme l’Iran ou le Pakistan, leur route d’exil est loin d’être terminée. Car, extrêmement vulnérables, elles se retrouvent, seules, exposées à de nouveaux dangers. Difficultés à se loger et à trouver un emploi, violences, traite d’êtres humains… Les Afghanes n’ont d’autre choix que de rêver d’ailleurs, et, pour beaucoup, d’Europe. Il y va de leur vie.

Ces femmes que nous évoquons, qui sont parvenues à rejoindre un pays limitrophe et pourraient être prises en charge, ne sont que quelques milliers. Elles sont courageuses, indépendantes, ont vu leur éducation ou leur carrière être brusquement interrompue, et ne demandent qu’à reprendre une vie active comme celle qui leur avait été promise en Afghanistan avant l’arrivée des talibans.

Agir vite

En septembre 2021, le Parlement européen avait appelé à la création d’un visa humanitaire spécifique pour accueillir les femmes afghanes. Mais cet appel est resté sans suite et aucune politique européenne coordonnée n’a été mise en œuvre. L’Europe tangue sur les questions migratoires et les femmes afghanes ne peuvent plus attendre. C’est pourquoi la France doit agir, vite, pour les protéger.

Elles, spécifiquement. Parce qu’elles sont filles et femmes et qu’elles sont, à ce titre, un groupe persécuté et en danger.

Depuis la chute de Kaboul, la France a accueilli sur son sol quelques milliers d’Afghans, anciens collaborateurs des autorités françaises ou défenseurs des droits humains. Une démarche indispensable, bien sûr, mais bien faible comparée, par exemple, aux près de 30 000 Afghans accueillis par nos voisins allemands. Or nous constatons que ce programme d’accueil s’essouffle aujourd’hui et ne pouvons accepter que la France estime avoir rempli son rôle.

C’est pourquoi nous, journalistes, chercheurs, enseignants, féministes, spécialistes de l’Afghanistan ou des politiques migratoires, citoyens engagés, demandons aux autorités françaises de mettre en place un programme d’accueil humanitaire d’urgence, pour permettre l’accès à notre territoire à ces femmes qui n’ont plus accès au travail ou à l’éducation et qui sont isolées au Pakistan ou en Iran.

Ce programme d’accueil doit reposer sur trois piliers : une aide humanitaire dans les pays frontaliers de l’Afghanistan permettant de protéger ces femmes qui fuient ; un engagement à faciliter et accélérer les délivrances de visa leur permettant de rejoindre la France pour y demander l’asile ; un système d’accueil renforcé à l’arrivée en France, qui reconnaisse leurs besoins spécifiques et s’ajoute aux dispositifs déjà existants pour les autres demandeurs d’asile.

La France, si prompte à affirmer conduire une diplomatie féministe, a les moyens d’agir pour protéger la vie et l’avenir de celles à qui, si récemment encore, nous promettions tant. Il est temps de passer aux actes.

Rédactrices : Margaux Benn, journaliste grand reporter au Figaro, prix Albert-Londres ; Solène Chalvon-Fioriti, journaliste, autrice, réalisatrice du documentaire Afghanes (2023); Sonia Ghezali, grand reporter, correspondante de RFI en Afghanistan et au Pakistan, lauréate du prix Bayeux Calvados-Normandie des correspondants de guerre ; Nassim Majidi, cofondatrice et directrice du centre de recherche Samuel-Hall sur les migrations ; Delphine Rouilleault, directrice de l’association France terre d’asile.

Premiers signataires : Hamida Aman, fondatrice de Begum Organisation for Women et Radio Begum ; Hervé Brusini, journaliste et président du prix Albert Londres ; Julie Couturier, bâtonnière de Paris ; Virginie Despentes, autrice ; Agnès Jaoui, scénariste, actrice et réalisatrice ; Alexandra Palt, CEO de la Fondation L’Oréal ; Atiq Rahimi, romancier et réalisateur ; Najat Vallaud-Belkacem, présidente de France terre d’asile ; Mathias Vicherat, directeur de Sciences Po Paris ; Catherine Wihtol de Wenden, politologue, directrice de recherche émérite au CNRS

Retrouvez l’ensemble des signataires sur le site : https://accueillirlesafghanes.org

 

Des milliers d’Afghanes ayant fui l’enfer taliban sont dans les limbes au Pakistan et en Iran. La France peut, et doit, les accueillir en urgence.

https://accueillirlesafghanes.org/

Des milliers d’Afghanes ayant fui l’enfer taliban sont dans les limbes au Pakistan et en Iran. La France peut, et doit, les accueillir en urgence.

Je partage avec le hashtag #AccueillirLesAfghanes :

Cet appel a été rédigé à l’initiative de Margaux Benn, Solène Chalvon-Fioriti, Sonia Ghezali et Nassim Majidi, Grands-Reporters et chercheuse spécialistes de l’Afghanistan, et de l’association France terre d’asile. Il est soutenu par plus de 350 personnalités de la société civile.

Elles ont eu, pendant deux décennies, une fenêtre sur la vie, la vraie, celle qui consent le rêve. Vingt ans durant, à grand renfort de programmes d’éducation, de bourses universitaires, on a poussé les Afghanes à y croire. Elles ont repris le chemin de l’école, obtenu des diplômes en droit, en « women’s studies ». Dans le département d’astronomie de l’université américaine de Kaboul, un télescope fixait leur horizon à des années-lumière de là.

Puis, tous ces rêves sont devenus obsolètes. Et leurs diplômes, inutiles. Car en août 2021, dans un odieux et retentissant clap de fin, leur président a fui, les ambassades ont quitté le pays, le grand « empowerment » a pris fin. Les Taliban ont repris du jour au lendemain le pouvoir, instaurant le règne des mollahs.

Entre 2001 et 2021, le pourcentage de filles inscrites à l’école primaire en Afghanistan est passé de 0% à 40%. Le nombre d’étudiantes à l’université a été multiplié par 20, passant de 5 000 femmes à 100 000. Les femmes composaient 26% du service public. En 2023, les compteurs ont été remis à zéro, de force. Par la seule volonté d’une dictature illégitime.

Aujourd’hui, l’Afghanistan est le seul pays au monde où les fillettes ne peuvent plus aller à l’école au-delà de l’âge de 12 ans et où les femmes n’ont plus le droit d’accès à l’université. La majorité des femmes n’a plus le droit de travailler, plongeant d’innombrables familles dans la pauvreté. Les filles et les femmes sont traquées, battues, en toute impunité. Coupables de tout, elles ne valent plus rien. L’Afghanistan est le pays le plus répressif pour le droit des femmes et des filles.

À l’été et à l’automne 2021, des évacuations menées par des pays et des initiatives privées, au milieu du chaos, ont permis d’évacuer un nombre important d’Afghans et d’Afghanes. Mais les femmes, en particulier les femmes seules et qui ne disposaient pas de l’entregent nécessaire, ont été largement délaissées. Pour elles, il ne subsiste aujourd’hui que des initiatives ponctuelles, menées souvent à bout de bras par des journalistes, des chercheurs, des organisations, pour leur permettre de quitter l’Afghanistan au compte-goutte.

Quand elles arrivent à franchir la frontière, et rejoignent des pays limitrophes comme l’Iran ou le Pakistan, leur route d’exil est loin d’être terminée. Car, extrêmement vulnérables, elles se retrouvent, seules, exposées à de nouveaux dangers. Difficultés à se loger et à trouver un emploi, violences, traite d’êtres humains… Les Afghanes n’ont d’autre choix que de rêver d’ailleurs, et pour beaucoup, d’Europe. Il y va de leur vie.

Ces femmes que nous évoquons, qui sont parvenues à rejoindre un pays limitrophe et pourraient être prises en charge, ne sont que quelques milliers. Elles sont courageuses, indépendantes, ont vu leur éducation ou leur carrière être brusquement interrompue, et ne demandent qu’à reprendre une vie active comme celle qui leur avait été promise en Afghanistan avant l’arrivée des Taliban.

En septembre 2021, le Parlement Européen avait appelé à la création d’un visa humanitaire spécifique pour accueillir les femmes afghanes. Mais cet appel est resté sans suite et aucune politique européenne coordonnée n’a été mise en œuvre. L’Europe tangue sur les questions migratoires et les femmes afghanes ne peuvent plus attendre. C’est pourquoi la France doit agir, vite, pour les protéger. Elles, spécifiquement. Parce qu’elles sont filles et femmes et qu’elles sont, à ce titre, un groupe persécuté et en danger.

Depuis la chute de Kaboul, la France a accueilli sur son sol quelques milliers d’Afghans, anciens collaborateurs des autorités françaises ou défenseurs des droits humains. Une démarche indispensable, bien sûr, mais bien faible comparée, par exemple, aux près de 30 000 Afghans accueillis par nos voisins allemands. Or nous constatons que ce programme d’accueil s’essouffle aujourd’hui et ne pouvons accepter que la France estime avoir rempli son rôle.

C’est pourquoi nous, journalistes, chercheurs, enseignants, féministes, spécialistes de l’Afghanistan ou des politiques migratoires, citoyens engagés, demandons aux autorités françaises de mettre en place un programme d’accueil humanitaire d’urgence, pour permettre l’accès à notre territoire à ces femmes qui n’ont plus accès au travail ou à l’éducation et qui sont isolées au Pakistan ou en Iran. Ce programme d’accueil doit reposer sur trois piliers : une aide humanitaire dans les pays frontaliers de l’Afghanistan permettant de protéger ces femmes qui fuient ; un engagement à faciliter et accélérer les délivrances de visa leur permettant de rejoindre la France pour y demander l’asile ; un système d’accueil renforcé à l’arrivée en France, qui reconnaisse leurs besoins spécifiques et s’ajoute aux dispositifs déjà existant pour les autres demandeurs d’asile. La France, si prompte à affirmer conduire une diplomatie féministe, a les moyens d’agir pour protéger la vie et l’avenir de celles à qui, si récemment encore, nous promettions tant. Il est temps de passer aux actes.


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