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Feu la Nupes

Gérard Grunberg

26 septembre 2023

Il y a quelques semaines, j’avais intitulé un de mes articles « L’agonie de la Nupes ». Je ne pensais pas que cette agonie serait de si courte durée. Jean-Luc Mélenchon est le principal responsable de cette situation mais la fragmentation croissante de la gauche est loin d’être de son seul fait. Les graves désaccords de fond ainsi que la logique de concurrence entre les organisations et les ambitions de leurs leaders ont eu raison, une nouvelle fois, des velléités de rassemblement.

Mélenchon seul contre tous

Chaque jour se dessine plus clairement la stratégie du leader de LFI. Mis en question dans sa propre organisation et de plus en plus critiqué par les autres formations de gauche mais décidé à se donner les moyens d’être candidat à la prochaine élection présidentielle s’il le décidait, il entend se distinguer clairement de ses ex-alliés. Dans ces conditions, la Nupes ne lui est plus d’aucune utilité. Au contraire, il élargit et approfondit chaque jour un peu plus les désaccords en se faisant le champion de la radicalité.

À quelques jours de la marche du 23 septembre contre les violences policières, il a justifié d’avoir besoin de « faire du Poutou » pour se faire entendre, répétant que « la police tue » et laissant une salle acquise scander : « Tout le monde déteste la police ! » Appliquant sa stratégie de la conflictualité, il a lancé un nouvel appel à la jeunesse, de tonalité révolutionnaire : « Abattez la citadelle, n’écoutez personne qui vous dira de reculer, de céder, de mollir, faites mieux ! Abattez ce système ! », sachant que son positionnement est critiqué au sein de la gauche. Observant la fragmentation de celle-ci, il estime qu’il a intérêt à pousser à l’extrême la radicalisation de son discours, voulant incarner à lui seul la véritable opposition au pouvoir en place, quitte à être très minoritaire dans la population. C’est ainsi qu’il faut comprendre son soutien au port de l’abaya, alors qu’un récent sondage de l’IFOP montre que 81% des personnes interrogées sont favorables à son interdiction et que cet accord massif se retrouve chez les électeurs socialistes (73%) et, plus encore, les électeurs écologistes (79%). Quant aux électeurs de LFI, 58% d’entre eux expriment leur accord avec l’interdiction. Sachant que la valeur de la laïcité est centrale à gauche, il n’a pas hésité à la diviser sur cette question.

Ayant écarté les personnalités de son propre mouvement qui mettaient en cause sa direction autoritaire, il estime, en bon trotskiste, que son parti « se renforcera en s’épurant ». Bien que militant pour une liste unique de la gauche aux élections européennes, craignant que les résultats d’une liste LFI fassent apparaître que la domination électorale de ce parti sur la gauche n’est pas celle que suggérait le résultat de l’élection présidentielle, il n’en exprime pas moins son antipathie à l’égard de ses ex-partenaires : « Personnellement, je ne fais pas la Nupes parce que j’aime les autres, je ne les aime pas », a-t-il déclaré. Enfin, la député LFI Sophia Chirikou ayant écrit sur son compte Facebook le 20 septembre qu’« il y a du Doriot dans [Fabien] Roussel », la guerre est déclarée. C’est ainsi sans états d’âme que le toujours leader de LFI lance une attaque tous azimuts contre les autres  dirigeants de la gauche.

La stratégie de Mélenchon est risquée mais le leader maximo bénéficie de réels atouts dans cette offensive. Il demeure l’une des personnalités de gauche les plus populaires et il dirige LFI d’une main de fer. Alors que le mode de scrutin proportionnel utilisé pour les élections européennes a poussé les autres formations de gauche à présenter chacune une liste, que ce soit de bon gré, comme EELV et le PCF, ou de mauvais gré, comme le Parti socialiste, il prêche l’union aux européennes, sachant que l’électorat de gauche la souhaite en majorité, se disant même prêt à laisser la tête de liste à un(e) écologiste et pouvant ainsi se présenter comme le seul partisan de l’union.

Les désaccords de fond

Outre les raisons de la désunion de la gauche relevant de la tactique, les élections européennes favorisent également sa fragmentation, dans la mesure où les désaccords de fond sont particulièrement importants sur les questions de la construction européenne et de la guerre en Ukraine qui seront centrales dans la campagne. Tandis que communistes et insoumis sont hostiles à la livraison d’armes « offensives » à l’Ukraine, socialistes et écologistes y sont favorables. Ces désaccords seront donc clairement exposés. Plus généralement ces enjeux risquent fort de jouer un rôle important dans l’accroissement de la désunion si le Parti socialiste décide de reconduire Raphël Gluksmann, non membre de ce parti, comme tête de liste en juin prochain. En effet, celui-ci, qui a annoncé sa candidature au nom de sa micro-organisation Place publique, a rappelé clairement « des divergences de fond sur l’Europe de la défense, sur le soutien absolu qu’on doit apporter à la résistance ukrainienne, sur la politique qu’on doit mener à l’égard de la Chine. On enverra plus de députés de gauche au Parlement européen, si nous sommes capables d’assumer nos oppositions de fond sur la question européenne ». Le premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure, partisan d’une liste d’union, a dû y renoncer face aux oppositions au sein de son parti. Mais il ne souhaite pas que ces élections portent un coup supplémentaire à la Nupes, et ne peut donc qu’être opposé à la candidature de Gluksmann. S’il ne peut l’éviter, la logique de la confrontation l’emportera donc à ces élections.

Les élections européennes ne sont cependant pas le seul ni même le principal obstacle à la survie de la Nupes. Chez les écologistes et les socialistes, les partisans de l’union ont pu exprimer l’espoir qu’une fois passé le cap de ces élections, la gauche pourra se réunir pour affronter la prochaine élection présidentielle, alors qu’une pluralité de candidatures empêcherait sa présence au second tour. Un tel espoir, qui se fonde sur la réanimation de la Nupes, paraît cependant infondé.

Non seulement Mélenchon, qui a par avance exclu une primaire pour désigner le (la) candidat (e) de gauche à la prochaine élection présidentielle, sera très probablement candidat, ce qui, compte tenu de la radicalisation de son discours, rend peu probable que l’ensemble des formations le soutiennent (le PS et le PCF n’ont pas participé à la manifestation contre les « violences policières » du 23 septembre), mais encore il est tout aussi peu probable que les autres composantes de la gauche s’accordent sur une candidature commune. Le schéma ci-dessous le montre en prenant seulement en compte deux des enjeux qui divisent la gauche : la guerre en Ukraine et le port de l’abaya dans les établissements scolaires.

Tableau 1. Positions des quatre formations de gauche sur la livraison d’armes offensives à  l’Ukraine et sur le port de l’abaya

Tandis que les socialistes et les écologistes s’accordent sur la fourniture d’armes offensives à l’Ukraine, insoumis et communistes se prononcent contre cet envoi. Sur cet enjeu central concernant la politique extérieure de la France, enjeu qui en réalité concerne à la fois l’avenir de l’Europe et la défense des régimes démocratiques, les quatre formations de gauche montrent ainsi leur incapacité à proposer un programme politique commun.

Par ailleurs, l’affaire de l’abaya montre que d’autres enjeux, tout aussi importants, cette fois en politique intérieure, divisent également et tout aussi gravement la gauche. En effet, la conception de la laïcité et sa mise en application sont aujourd’hui à l’évidence des questions centrales dans la société française. Écologistes et insoumis s’opposent à l’interdiction du port d’un tel vêtement dans l’enceinte des établissements scolaires tandis que socialistes et communistes la soutiennent. Comment envisager dans ces conditions que ces quatre formations puissent s’unir en 2027 si, dans ces domaines importants de politique extérieure et de politique intérieure, les désaccords sont à ce point patents ? Comment ne pas voir que dans ces conditions la vision de la Nupes comme programme commun de gouvernement est parfaitement illusoire ?

  • Gérard Grunberg Politologue, directeur de recherche émérite au CNRS

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