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Guerre de l’eau : Les fraises espagnoles irriguées illégalement menacées de boycott en Europe

Une ONG allemande appelle les consommateurs et les distributeurs à veiller à ne pas importer de fraises issues de la sécheresse. Il s’agit de fruits qui poussent dans le sud de l’Espagne et qui sont irrigués à partir de puits clandestins. La région pourrait bientôt légaliser ces puits, mettant en danger l’une des plus grandes zones humides du continent, le Parc de Doñona, qui se retrouve au cœur d’une véritable guerre de l’eau.

Serre irrigation agriculture intensive fraises Tetiana Garkusha istock
Le Parlement andalou pourrait adopter une loi visant à légaliser les cultures clandestines de fraises, renforçant encore la sécheresse dans la région de Huelva, au sud de l’Espagne.

Une fraise sur cinq en Andalousie pousse illégalement, puisant de l’eau dans des puits clandestins construits à proximité du parc naturel de la Doñana, selon l’ONG Campact. Classée au patrimoine de l’Unesco, cette zone humide – l’une des plus grandes d’Europe – est déjà très affectée par la sécheresse qui frappe régulièrement le pays. C’est ce qui a poussé l’ONG allemande à lancer début juin une pétition afin d’appeler au boycott de ces « fraises de la sécheresse ». Il y aurait selon elle plus de 1 000 puits illégaux dans cette région du sud de l’Espagne.

Déjà signée par plus de 160 000 personnes, la pétition s’adresse plus particulièrement aux quatre grandes chaînes de supermarchés allemandes – Edeka, Lidl, Rewe et Aldi –, le pays étant le plus gros acheteur de fraises espagnoles. La province de Huelva en particulier, où se situe le parc de Doñona, représente 98% de la production de fruits rouges en Espagne et 30% de l’Union européenne, à destination principalement des supermarchés allemands et britanniques.

« Le vol illégal d’eau de vos fournisseurs menace de détruire cet écosystème fragile, écrit l’ONG Campact. Dans cette situation, c’est à vous de décider en tant que plus gros acheteur de fraises. Nous vous exhortons : arrêtez la vente de fraises de sécheresse – jusqu’à ce que le gouvernement andalou assure une utilisation durable de l’eau ».

Risque de réputation

Dans le viseur de Campact, il y a surtout une proposition de loi, défendue par la droite et l’extrême-droite espagnoles et rejetée par le parti socialiste au pouvoir. Actuellement débattue au Parlement andalou, elle doit permettre de légaliser les cultures clandestines qui représentent environ 1 500 hectares. Baptisée par ses opposants « loi anti-Doñona », elle renforcerait encore le phénomène de sécheresse dans la région.

« La poursuite du profit à court terme met en péril l’approvisionnement en eau de la région et l’avenir de toute la production légale de fruits rouges qui approvisionne les supermarchés européens de Huelva », a réagi Johannes Schmiester, expert en eau douce du WWF. Selon l’ONG, qui a elle aussi lancé une campagne de sensibilisation, certains supermarchés commencent déjà à prendre des mesures pour s’assurer que leurs fournisseurs ne leur livrent pas des fruits issus de ces cultures illégales.

En mars 2022, 23 industriels de l’agro-alimentaire européens, parmi lesquels Aldi, Innocent ou Lidl, avaient déjà écrit au gouvernement régional pour lui faire part de leur inquiétude et lui demander de protéger le parc de Doñana. « La durabilité est une question très pertinente pour les consommateurs et les entreprises. C’est très important que toutes les entreprises collaborent tout au long de la chaîne d’approvisionnement pour éviter les problèmes environnementaux », avaient-elles écrit, craignant le risque de réputation si des fraises provenant de fermes illégales étaient mélangées à des fraises légales.

120 000 emplois directs

L’Union européenne elle aussi s’en est mêlée. Un arrêt de la Cour de justice de l’UE avait condamné en 2021 l’Espagne pour ne pas avoir suffisamment protégé le parc de Doñana des extractions d’eau illégales. Ces dernières semaines, la Commission européenne a également partagé ses inquiétudes, menaçant le pays de lourdes sanctions si la loi entrait en vigueur. Le commissaire européen à l’environnement, Virginijus Sinkevicius, s’est fendu d’un tweet après avoir rencontré les différentes parties prenantes. « Doñana est important pour l’Espagne et l’UE. Mon message est le même : la Commission européenne agit en tant que gardien impartial du Traité et la mise en œuvre de la décision de la Cour européenne est une priorité », a-t-il indiqué.

L’association interprofessionnelle de la fraise, Interfresa, dénonce une campagne « pernicieuse et préjudiciable à l’industrie des fraises et des fruits rouges ». La fraise de Huelva emploie en effet 120 000 personnes, en direct et indirect, et représente 8% du PIB andalou. « Le déni ruine notre environnement et risque de ruiner les économies locales », lui rétorque le Premier ministre Pedro Sánchez. Car au-delà de la préservation d’une zone naturelle indispensable à la protection de l’environnement, le risque, en poursuivant sur le modèle agricole actuel très gourmand en eau, c’est qu’à terme, l’Espagne ne puisse plus faire pousser une seule fraise.

D’autant que cette culture fait face à un autre scandale dans le pays. La chercheuse au CNRS Chadia Arab, vient de publier un livre dans lequel elle dénonce l’exploitation de travailleuses marocaines dans la cueillette des fraises en Espagne. « Dans certaines fermes, elles sont privées des droits les plus élémentaires. Au moindre problème, elles peuvent être renvoyées au Maroc. Quelques exploitations sont même grillagées et dotées de caméras censées les protéger mais qui, de fait, sont aussi là pour les surveiller », témoigne-t-elle dans Marianne. Les risques environnementaux, humains et économiques se multiplient sur la filière.

Concepcion Alvarez

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