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Internet premier consommateur mondial d’électricité

Google et les géants du Web bientôt les premiers consommateurs d'électricité au monde.

VIRGINIE LEFOUR

Toutes les études arrivent à une même conclusion: vers 2020, ‘l’Economie digitale’ qui regroupe l’univers internet, les terminaux, les réseaux, les cryptomonnaies, la technologie blockchain et les centres de stockage pèseront pour 20% dans la consommation électrique de la planète bleue. La croissance en besoins énergétiques de cette économie est de l’ordre de 10% l’an, analyse Damien Ernst, professeur spécialiste de l’énergie à l’Université de Liège.

La consommation énergétique mondiale des infrastructures nécessaires à internet était estimée à 0,8 % en 2005 et excédait déjà 2 %, en 2012Gerhard Fettweis de l’Université de Dresde estimait en 2008 qu’à ce rythme, la consommation énergétique liée au web atteindrait, en 2030, l’équivalent de la consommation énergétique mondiale en 2008, tous secteurs confondus. Il émettait d’ailleurs des doutes sur la capacité de l’industrie énergétique à répondre à la demande. Mais 10 ans plus tard, sa crainte ne semble pas justifiée.

Selon Andrew Ellis, professeur de l’Université d’Aston, le doublement de la consommation d’énergie mondiale de l’économie digitale serait atteint non pas en 2050 comme le pronostiquait le WEC (World Energy Council)  mais bien en 2030, « à cause de l’augmentation du nombre des internautes, des serveurs et des infrastructures de télécommunications »

Le doublement de la consommation d’énergie mondiale de l’économie digitale (depuis 2008) sera atteint en 2030.
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Le cri d’alarme de Greenpeace 

C’est donc assez logiquement qu’en janvier 2017, Greenpeace lançait un cri d’alarme en publiant un rapport sur l’impact environnemental du numérique: « Il est temps de renouveler internet« .

L’ONG de défense de l’environnement y désigne le principal ennemi: le « Cloud », qui désigne une technologie de stockage de données gloutonne en serveurs et en énergie. La diffusion des vidéos (Youtube, Netflix), l’intelligence artificielle et le backup en ligne ont fait sortir de terre des « Data farms  » -des fermes de serveurs- sortes d’immenses hangars à données constitués de centaines d’unités de stockage. Des fermes qu’il faut alimenter en énergie, mais qu’il faut aussi refroidir en permanence. Ces fermes consomment parfois autant que des villes de 30.000 à 70.000 habitants. C’est le cas de Facebook dont un site de 60.000 serveurs fonctionne 24h/24. Le géant Google posséderait, à lui seul, un million de serveurs répartis dans des dizaines de datacenters.

Selon le rapport Clicking Clean  (voir de rapport de Greenpeace ci-dessous) publié le 10 janvier 2017, le secteur informatique représente aujourd’hui environ 7% de la consommation mondiale d’électricité, mais pourrait avoir triplé en 2020 pour approcher les 20% évoqués par Damien Ernst.

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Pourquoi une telle croissance ?

Cette gloutonnerie énergétique a plusieurs raisons. D’abord l’impact des data centers. En 2016, sur le territoire français, 182 centres de données consommaient 8% de l’électricité nationale. Mais cette croissance en besoins énergétiques est aussi due à l’explosions du nombre d’internautes qui devrait passer, de 3,9 milliards en 2016 à 5 milliards à l’horizon 2020″.

L’Economie digitale se situe déjà à 2,2% de la consommation mondiale d’électricité, mais pourrait, selon Damien Ernst, rapidement atteindre les 3,5%.

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Surprenantes analogies

Deux exemples permettent de réaliser l’énormité des besoins électrique de l’économie numérique. La première est une analogie avec l’industrie aéronautique. Selon GreenPeace,  » La pollution générée par l’industrie du net est équivalente à celle du secteur de l’aviation « . La seconde est reprise par toutes les études depuis 2012. Si le secteur ICT était un pays, il serait le troisième plus gros consommateur d’électricité, derrière la Chine et les Etats-Unis. L’énergie est principalement utilisée pour alimenter les terminaux (depuis les centraux jusqu’aux smartphones). Viennent ensuite l’alimentation des réseaux, des centres de données et la production (fabrication) des appareils. Damien Ernst soulève que la production d’un smartphone nécessite 5 fois plus d’énergie que celle qui sera utilisée par le terminal durant sa durée de vie.

Depuis 2009, Greenpeace évalue les performances énergétiques du secteur informatique. Elle incite également les géants du net à s’engager pour un approvisionnement basé à 100 % sur des énergies renouvelables. L’ONG constate que Facebook, Apple et Google sont les premiers à s’être engagés, il y a quatre ans, dans la voie du renouvelable.  » Aujourd’hui, ce sont plus de 20 entreprises qui ont rejoint le mouvement.  » peut-on lire dans le rapport.

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Apple, premier bon élève

Souvent critiqué par ailleurs, Apple produit de l’énergie renouvelable dans une proportion de 83%. Ce qui le place en tête devant Facebook (67%) et Google (56%). Dans le bas du classement  figurent Amazon (17%),  Samsung (11%) et Oracle (8%).

GreenPeace tire un constat encourageant: « Aux États-Unis, l’achat direct d’énergie renouvelable par les entreprises a augmenté de façon spectaculaire depuis 2010 pour atteindre plus de 3,4 GW en 2015. Plus des 2/3 de ces achats sont attribuables aux géants du web.  »

Aujourd’hui Greenpeace demande à d’autres entreprises du secteur (Amazon, Twitter, Netflix et Pinterest) de se joindre au mouvement. C’est toutefois en l’Asie de l’Est que les géants du net tardent à entrer dans le cercle de la production vertueuse.  Au pays des Tencent, Baidu et Alibaba, les fournisseurs d’énergie bénéficient de situations de monopole qui ne les incitent pas à développer les énergies renouvelables. Dans cette région du monde, la croissance d’internet se fera à marche forcée à l’aide du charbon. Une hérésie environnementale.

GreenPeace critique aussi Netflix, le géant du streaming vidéo accusé de « carburer aux fossiles ». Or, le vrai géant de la consommation énergétique est l’échange vidéo qui n’existait pratiquement pas il y a 10 ans. En 2020, le streaming vidéo devrait représenter 80% du trafic web mondial.

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Et qui paie la note d’électricité ?

Comme le dit une formule désormais très classique:  » sur internet, si c’est gratuit, c’est vous le produit « . Et clairement, c’est la publicité en ligne qui règle la note grâce aux profils ciblés des internautes. Au point que sans elle, le net n’existerait peut-être plus. Mais la facture est aussi supportée par les entreprises qui financent les « fermes de données « … des frais qui seront répartis dans le prix des produits vendus au public.

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 Un mail, ça coûte combien

Quel est le prix énergétique d’un simple mail expédié par inadvertance ? Les estimations qui circulent sont nombreuses. Les différentes sources convergent vers une consommation électrique moyenne de 5 watt-heure pour un mail standard, et 25 watt-heure s’il embarque une pièce jointe.

Si l’on compte le prix du KWh au taux (intéressant) de 6 cents, l’envoi d’un message « sec  » coûtera 0,0003 cents. Et 0,0015 cents pour le mail et son fichier. L’exemple du mail est pourtant peu parlant, explique le professeur Damien Ernst: « Le message électronique est un mauvais exemple, car il consomme peu de data. Il faut surtout songer aux vidéos, aux cryptomonnaies (le Bitcoin en tête : ndlr) et à la technologie Blockchain. »

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Et le CO2 dans tout ça ?

Se basant sur des chiffres américains, le site belge Energuide.be estime à 20g la production de C02 pour l’envoi d’un e-mail d’un mégaoctet. Et qu’à raison de vingt e-mails par jour et par an,  les émissions de CO2 sont équivalentes à plus de 1000 km parcourus en voiture. (400 kWh).

En se basant sur les chiffres selon lesquels un e-mail d’un mégoctet produit effectivement 20g de CO2 dus à la consommation électrique qu’il induit, le professeur Damien Ernst établit le calcul suivant: « Un kwh d’électricité correspond plus ou moins à 400 gr de CO2 en Europe. Un email  consomme donc 20/400 kwh, soit 0.05 kwh. Si l’on envoie 20 emails par jour, pendant 365 jours. La consommation sera dès lors de : 20x365x0.05= 365 kwh. Ces 365 kwh produisent 365 x 0.4 = 145 kg de CO2. »

Peut-on, comme le fait le site de Sibelga comparer cette production à celle d’une voiture parcourant 1000 km ? Pour le spécialiste de l’énergie, une voiture consomme de l’ordre de 5 l d’essence par 100 km. « La combustion d’un litre d’essence produit 2,28 kg de CO2. Une voiture produit 5 x 2.28 = 11.4 kg de CO2 par km.  Nos 20 emails par jour pendant 1 an produiront dès lors une quantité de CO2 égale à la quantité du CO2 produite par une voiture parcourant  100 x 145/11.4 =  1271 km. Si la voiture consommait 6l au 100 km, on obtiendrait 1059 km.

Damien Ernst en conclut que le calcul est donc correct, à la condition que l’un d’un courriel produise effectivement 20gr de C02. Ce qui lui semble énorme. Mais rappelons que ces chiffres sont issus d’une étude qui remonte à 2011 et que, depuis, l’efficacité énergétique a été améliorée.

Selon les calculs du site Energuide (Sibelga), la recherche d’une adresse internet représente 3,4 Wh, soit 0,8 gramme d’équivalent CO2. Mais 10 grammes après une recherche via un moteur qui aboutit à cinq résultats.  » Partant de l’estimation qu’un internaute effectue en moyenne 2,6 recherches sur Internet par jour, on peut extrapoler qu’il émet 9,9 kilos d’équivalent CO2 par an. « 

Contacté, Sibelga dit s’être basé, pour ces estimations sur les données d’un site américain, dont les chiffres datent de 2011.Un porte-parole de l’entreprise pense donc que les émissions doivent être revues un peu à la baisse, vu la meilleure efficacité énergétique actuelle. 

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Naviguer : 0,2gr ou 7gr de de C02 ?

En 2009, le physicien Alex Wissner-Gross, chercheur à Harvard et au MIT avait estimé que chaque requête Google émet 7 grammes de CO2. A l’époque, Google avait contrattaqué en assurant qu’une requête ne fait fonctionner ses serveurs  que pendant quelques millièmes de seconde, soit une production de 0,2 g de CO2.

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La solution: le vert?

Les géants américains entrent peu à peu dans l’ère du renouvelable constatent Ingenios, spécialisé dans les centres de données. Sans doute tant pour son image que pour l’efficacité énergétique, Microsoft a été le premier à annoncer, voici 20 ans, un accord avec RES Americas pour acheter l’énergie provenant d’une ferme éolienne géante au Texas. Pour Microsoft, le but était de répondre à la demande en énergie de l’hébergement des données de 1 milliard d’utilisateurs et de 20 millions d’entreprises. Sans oublier son cloud public OneDrive.

Apple travaille depuis quelques temps  à la construction d’une usine à Mesa (Arizona), alimentée en énergie verte. Un « command Center » qui a déjà engagé des centaines de collaborateurs, sans que l’on sache vraiment quel en sera la fonction.

Enfin, Google a annoncé en 2017 son intention d’investir 103 millions de dollars dans une centrale électrique photovoltaïque en Californie. Le Mount Signal Solar aura une capacité de production de 265 mégawatts.

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VIRGINIE LEFOUR sur la RTBF

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