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Déni démocratique en Biélorussiehttps://img.aws.la-croix.com/2020/07/24/1201106277/Veronika-Tsepkalo-gauche-femme-leader-dopposition-Valery-Tsepkalo-candidate-prochaine-election-presidentielle-poseses-alliees-Svetlana-Tikhanovskaya-Maria-Kolesnikova_0_1399_933.jpg

Le dernier dictateur d’Europe a fait proclamer sa victoire à la présidentielle du dimanche 9 août. Alors que des milliers de manifestants biélorusses contestent ce simulacre électoral, l’UE doit tout faire pour aider la société civile à choisir son destin

 

Manifestation à Minsk, après l’élection présidentielle, dimanche 9 août.

Voilà vingt-six ans qu’Alexandre Loukachenko, ancien chef de kolkhoze arrivé au pouvoir après la chute de l’Union soviétique, règne sans partage sur la Biélorussie. Sans surprise, le dernier dictateur d’Europe a fait proclamer sa victoire à la présidentielle du dimanche 9 août avec un score – 80,2 % – à la mesure du scandale que constitue ce nouveau simulacre électoral. L’opposante Svetlana Tsikhanovskaïa, qui a attiré des foules pendant la campagne, n’est créditée que de 9,9 % des voix. Elle assure avoir obtenu en réalité la majorité.

Depuis dimanche soir, des dizaines de milliers de manifestants affrontent la police antiémeute à Minsk et dans une vingtaine d’autres villes du pays. Comme au lendemain de la présidentielle de 2010, ils contestent le résultat officiel d’un scrutin qui ressemble à une mascarade : candidats d’opposition emprisonnés, urnes opaques, isoloirs sans rideau, scrutateurs locaux frappés et arrêtés, journalistes étrangers interdits.

Quelle que soit l’issue de la lutte entre des citoyens furieux de s’être fait voler l’élection et un régime autoritaire sans scrupule, rien ne sera plus comme avant dans ce pays de 9,5 millions d’habitants, ancienne République de l’URSS, coincée entre la Russie et la Pologne. Trois femmes, épouses ou soutien des candidats de l’opposition radiés, ont pris la place des hommes, formant un trio qui a redonné espoir en la possibilité d’une alternance. Novices mais courageuses, elles ont porté et rendu crédible la candidature de l’une d’elles, Svetlana Tsikhanovskaïa, 37 ans, dont le mari, un blogueur ultrapopulaire, est en prison.

Changement profond

Ni les menaces ni les intimidations n’ont pu arrêter celle dont l’objectif central est la fin du règne de Loukachenko. La population, longtemps acquise au « père du peuple » pour avoir évité le chaos à la chute de l’URSS, semble s’en détourner, notamment depuis qu’il a conseillé la vodka pour traiter le Covid-19.

Fidèle à son habitude, l’autocrate a tenté de désigner un ennemi afin de provoquer un réflexe légitimiste. Plutôt que l’Union européenne, sa cible favorite jusqu’à ce que Bruxelles lève des sanctions décidées au lendemain de la répression de 2010, M. Loukachenko a accusé la Russie de chercher à le déstabiliser. Habitué à zigzaguer habilement entre l’Ouest et l’Est, l’homme fort de la Biélorussie a pourtant un besoin crucial du grand voisin.

La Russie lui fournit gaz et pétrole à prix d’ami, aide vitale pour éviter la faillite d’une économie ultracentralisée et déficitaire. Même si son ami Vladimir Poutine n’a pas apprécié qu’Alexandre Loukachenko prenne ses distances avec Moscou dans le conflit sur l’Ukraine –dont ce dernier redoute de partager le sort –, une révolution en Biélorussie, pays frère au fonctionnement postsoviétique, serait de mauvais augure pour le chef du Kremlin.

C’est pourtant à un changement politique profond que les Biélorusses, en se réunissant autour de la candidate de l’opposition, aspirent. Leur pays, frontalier de l’Union européenne, n’y est pas candidat. Mais l’UE, construite sur les principes démocratiques, doit tout faire pour aider la société civile biélorusse à choisir son destin. Les Européens devront aussi tirer toutes les conséquences politiques et économiques de la nouvelle farce électorale de dimanche et de la répression des manifestations de protestation contre ce déni démocratique.

Présidentielle en Biélorussie : l’opposante Svetlana Tikhanovskaïa rejette les résultats et revendique la victoire

Le président Alexandre Loukachenko a affirmé que les manifestations contre sa réélection controversée, violemment réprimées, étaient « téléguidées » depuis l’étranger.

La police disperse les manifestants après l’élection présidentielle à Minsk, en Biélorussie, le 9 août.

« Je me considère vainqueure de ces élections », a revendiqué, lundi 10 août, Svetlana Tikhanovskaïa, principale opposante au président biélorusse Alexandre Loukachenko, lui demandant de quitter le pouvoir au lendemain d’un scrutin présidentiel l’ayant officiellement reconduit, suivi de manifestations antigouvernementales violemment réprimées.

Le ministère de l’intérieur a fait état de 3 000 interpellations, d’une cinquantaine de civils et de 39 policiers blessés dans la nuit de dimanche à lundi lors de manifestations nocturnes « non autorisées » dans trente-trois villes et localités du pays. Lundi,

L’ONG de défense des droits de l’homme Viasna, qui dans un premier temps avait fait état d’un mort, a ensuite signifié que le décès n’était pas sûr, évoquant « des informations » non confirmées en ce sens.

Lundi soir, de nouvelles manifestations pour protester contre les résultats de la présidentielle au Bélarus ont été dispersées par la police, qui a utilisé du gaz lacrymogène et tiré des balles en caoutchouc, selon plusieurs médias. Des centaines de manifestants étaient rassemblés en divers endroits de la capitale, et la police a procédé à des arrestations.

La communauté internationale met en doute le scrutin

La communauté internationale a multiplié lundi les mises en cause visant le processus électoral biélorusse. « Nous devons soutenir le peuple biélorusse dans sa quête de liberté », a estimé le premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, au lendemain de heurts, à Minsk, lors des manifestations contre les résultats de la présidentielle. « Les autorités ont fait usage de la force contre leurs citoyens réclamant un changement dans le pays », a fait valoir M. Morawiecki, qui a appelé à l’organisation d’un sommet extraordinaire de l’Union européenne sur la situation dans le pays.

« Nous avons de sérieux doutes concernant le déroulement et le caractère démocratique de ce vote », a de son côté estimé Steffen Seibert, le porte-parole de la chancelière allemande, Angela Merkel, estimant que les « standards démocratiques minimaux pour une élection n’ont pas été garantis ». En France, Clément Beaune, secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes, a appelé au respect des libertés fondamentales et des droits démocratiques.

« Le harcèlement et la répression violente des manifestants pacifiques n’ont pas leur place en Europe. J’appelle les autorités de Biélorussie à veiller à ce que les votes de l’élection [de dimanche] soient comptés et publiés avec exactitude », a pour sa part exhorté la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, dans un message sur son compte Twitter.

L’OTAN, par la voix de son secrétaire général, Jens Stoltenberg, a exprimé de « sérieuses préoccupations » sur le déroulement de l’élection présidentielle au Bélarus et a « condamn[é] la violence contre les manifestants pacifiques ».

Svetlana Tikhanovskaïa appelle à céder le pouvoir

Les autorités biélorusses ont annoncé, lundi matin, la victoire écrasante de son autoritaire président Alexandre Loukachenko. Selon les résultats officiels, le chef de l’Etat, au pouvoir depuis vingt-six ans, a remporté un sixième mandat avec 80,08 % des voix, selon des chiffres actualisés dans l’après-midi.

L’opposante Svetlana Tikhanovskaïa, à qui la commission électorale a attribué 10,09 % des suffrages, a rejeté lundi les résultats officiels, demandant au président de céder le pouvoir. Svetlana Tikhanovskaïa, qui a émergé en quelques semaines comme rivale inattendue du chef de l’Etat Alexandre Loukachenko, a dénoncé un scrutin falsifié. « Le pouvoir doit réfléchir à la manière de nous céder le pouvoir. Je me considère vainqueure de ces élections », a dit cette novice en politique de 37 ans.

Sans appeler les Bélarusses à descendre dans la rue, elle a accusé le régime de « se maintenir par la force », après la répression des manifestations dans la nuit de dimanche à lundi, notamment à Minsk, où des milliers de protestataires ont essuyé des tirs de grenades assourdissantes et de balles en caoutchouc. Elle-même ne participera pas aux manifestations, a fait savoir un porte-parole.

Alexandre Loukachenko a affirmé, lundi, que les manifestations de la veille contre sa réélection étaient « téléguidées » depuis l’étranger, mettant directement en cause le Royaume-Uni, la Pologne et la République tchèque. Il a martelé qu’il ne laissera pas son pays être « mis en pièces ». « Nous allons nous occuper de chaque personne qui provoque, qui pousse aux débordements. Je pense qu’on va leur remettre le cerveau à l’endroit », a-t-il encore lâché.

Télégramme du Kremlin

De son côté, le président russe, Vladimir Poutine, a adressé un « télégramme de félicitations » à son homologue biélorusse, Alexandre Loukachenko.

« Je compte sur le fait que votre action à la tête de l’Etat va permettre le développement futur de relations russo-biélorusses mutuellement avantageuses », a-t-il écrit, selon le Kremlin. Ces dernières semaines, M. Loukachenko a accusé son allié traditionnel de vouloir vassaliser son pays, de soutenir l’opposition et de chercher à le déstabiliser.

Le Biélorussie a également reçu les félicitations de son homologue chinois, Xi Jinping.

On y croit !

P.B.

 

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