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Cours de français pour les adolescents par une enseignante de FLE au village. Une trentaine d'enfants adolescents et adultes ont été accueillis dans le village de St nazaire le désert dans la Drôme vers la mi-mars, ils vivent provisoirement dans un gîte dans un hameau à l'écart du village. 28/03/2022. ALEXA BRUNET POUR « LE MONDE »

De Dnipro à la Drôme, l’exil d’un groupe d’adolescents ukrainiens

Une trentaine de jeunes ont trouvé refuge dans le petit village de Saint-Nazaire-le-Désert, loin de leur ville et de leurs proches.

« Je m’appelle Paulina. J’ai 13 ans. Je suis ukrainienne. Je viens de Dnipro. » Lundi 28 mars au matin, dans la salle des fêtes de Saint-Nazaire-le-Désert, c’est l’heure du cours de français. Une quinzaine d’adolescents, originaires de Dnipro, dans l’est de l’Ukraine, s’appliquent à dire leurs premiers mots dans cette langue aux accents inconnus. Ils sont arrivés il y a tout juste quinze jours dans ce village de 200 âmes, isolé au fond d’une vallée drômoise.

Trente jeunes au total, âgés de 9 à 20 ans et accompagnés de quelques animatrices, qui fréquentaient tous le centre juif ukrainien de leur ville. C’est sa directrice, Esther Gaft, qui a organisé leur exil. Avant, elle organisait plutôt des fêtes et des colonies de vacances, explique-t-elle en faisant défiler les photos sur son téléphone. Sur un cliché, on les voit riant sur une plage de la mer d’Azov. C’était l’été dernier. « Maintenant, il y a les chars ici », commente-t-elle.

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Quand les premières bombes sont tombées sur Dnipro, Esther Gaft a appelé Patrick Schambel, drômois d’origine, et ex-époux d’une amie à elle. Elle se souvenait de sa grande résidence secondaire, perchée sur une colline de Saint-Nazaire-le-Désert, où elle avait jadis passé des vacances. Ne pourrait-il pas les y accueillir ? L’homme accepte, et le périple s’organise sans tarder. Le temps de réserver un wagon de cinquante places pour Lviv, dans l’Ouest ukrainien. Un soir de mars, les jeunes embarquent. Le train a roulé toute la nuit, téléphones et lumières éteints pour ne pas être repérés. Puis à Lviv, un bus les a conduits à la frontière polonaise – vingt-quatre heures pour franchir les 70 kilomètres restants, dans le flot des candidats à l’exil. De l’autre côté, M. Schambel les attendait. Il a affrété six minibus, traversé la Suisse, l’Allemagne, la République tchèque, la Pologne, et dégotté un dortoir pour passer la première nuit… « Le plus compliqué finalement, c’était l’interrogatoire de la police polonaise pendant des heures. Je crois qu’ils voulaient s’assurer qu’on ne kidnappait pas les enfants », raconte-t-il.

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Le 11 mars, changement de décor : la troupe arrive à Saint-Nazaire-le-Désert. S’ensuivent encore un interrogatoire de la gendarmerie, une audition de chaque enfant par les services départementaux, une visite de l’inspection académique… Et « l’ébullition administrative » est retombée, dit M. Schambel. Depuis, les jeunes sont là, au bout d’une piste rocailleuse, dans cette grande bâtisse entourée de prés et de monts à perte de vue. Un calme absolu. A peine quelques chants d’oiseaux, un grincement de trampoline. Pourtant, la guerre est aussi présente, dans tous les esprits.

 

« Les montagnes sont belles ici, mais… la première chose que je fais au réveil, c’est prendre des nouvelles de mes parents. On a beaucoup d’amis engagés, des frères…, explique Anna, qui vient d’avoir 20 ans. On veut tous rentrer, on attend juste que ce soit fini. » Lina, elle, a 16 ans, de longs cheveux bruns et les yeux pétillants. Elle montre une photo de son père resté au pays, casque sur la tête. « Territorial defense », dit-elle. Puis elle montre un café branché du centre-ville de Dnipro, où elle rêve de retourner. « Dans notre ville, il y a un million d’habitants. Ici, il y a un seul magasin », précise-t-elle, dépitée. Un peu trop calme pour ces jeunes citadins au style soigné.

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En attendant, on organise le quotidien, comme au temps des colonies de vacances. Le planning du jour est affiché sur une poutre de la « salle télé », tapissée de matelas. 7 h 45, petit déjeuner ; 10h-13h, études ; 14 h 30, ménage ; 16h, cours à distance ; 22h, coucher. La maison bruisse de rires, de chagrins. Filles et garçons écoutent de la musique, serrés les uns contre les autres. Dans les chambres, des tas de vêtements en boule, du maquillage, des cahiers d’école… « Bien sûr, il y a des petits coups de déprime, remarque Patrick Schambel. Ils sont loin de leurs parents, mais ils tiennent parce qu’ils sont ensemble, le plus important, c’est de ne surtout pas les séparer. » L’informaticien, « quasi retraité », navigue à vue entre un téléphone cassé, un mal de ventre, un coup de fil de l’institutrice… La plus petite, 9 ans, scolarisée dans la classe unique du village, est en pleurs. Et puis cette liste de courses… « On a l’impression d’avoir un monceau de victuailles, mais ça part en quelques jours ! Nourrir trente ados…  », soupire-t-il.

« Solidarité énorme »

Tous les vivres sont achetés grâce aux dons des habitants et à la solidarité des commerces locaux. Une cagnotte a été lancée à l’épicerie. C’est d’ailleurs l’épicière, également éleveuse, et ancienne professeure de français langue étrangère, qui se charge des cours à la salle des fêtes, prêtée par la mairie. « Il y a une solidarité énorme, note Patrick Schambel. Hors saison, il y a à peine plus de cinquante habitants au village… tout le monde est ravi de voir les jeunes, ça fait de la vie !  » « L’accueil est unanime, confirme le maire, Daniel Fernandez, aussi apiculteur. La guerre, on la suivait de loin, maintenant elle est arrivée jusqu’à chez nous, poursuit-il. Que peut-on faire d’autre, à notre niveau, que de leur offrir à manger ? »

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Dans quelques jours, les ados de Dnipro seront transférés dans un centre de vacances à Die ( complexité administrative n’aidant pas ? NDLR-MCD ), petite ville drômoise où ils pourront être scolarisés. C’est désormais une autre affaire qui préoccupe Patrick Schambel et Esther Gaft. Demain, peut-être, un second groupe d’une vingtaine de jeunes quittera Dnipro pour les rejoindre. Où les logeront-ils ? « On verra, dit Mme Gaft. Le maire a dit que tous les enfants qui le peuvent doivent partir. » Pour l’instant, la ville a été plutôt épargnée par les destructions, mais les nouvelles ne sont guère rassurantes. La directrice montre les alertes à la bombe qu’elle reçoit sur son téléphone. Hier : 18 h 01 ; 21 h 58 ; 22 h 31 ; 23 h 45 ; 0 h 46. « A chaque fois, ils descendent aux abris, ça les angoisse, lance-t-elle, le regard noir. On est peut-être bien ici, mais là-bas, il y a des enfants en danger… Il faut les aider au plus vite. »

Angela Bolis Saint-Nazaire-Le-Désert, envoyée spéciale pour le monde

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