Sélectionner une page

Champignons polonais, haricots de Madagascar… Des paysans vident les rayons d’un Carrefour

Le 27 janvier, la Confédération paysanne du Limousin manifestait dans un hypermarché de Haute-Vienne. Au lendemain des annonces de Gabriel Attal, le syndicat a plaidé pour un changement profond du modèle agricole.

Boisseuil (Haute-Vienne)

Les clients tentent de se frayer un chemin dans la foule agglutinée entre le rayon des produits laitiers et la boucherie-charcuterie. Des pancartes « Faisons vivre le monde rural pas le capital » ou « Des fruits pas des superprofits » s’agitent au-dessus des têtes. Plus de 150 agriculteurs de la Confédération paysanne du Limousin et leurs soutiens se sont regroupés dans cet hypermarché d’une zone commerciale à Boisseuil, au sud de Limoges, pour participer au mouvement de colère qui agite la profession depuis plus d’une semaine. En ce 27 janvier après-midi, les familles se pressent pour faire leurs courses hebdomadaires.

« On est gênés de voir les collègues brûler des pneus. Nous, on fait une action calme et de salubrité publique : on assainit les rayons ! » lance un homme, drapeau syndical sous le bras. Un chariot, puis deux et, très vite, une quinzaine débordent de denrées sélectionnées sur les étals. Des champignons de Paris récoltés en Pologne, des haricots verts ramassés à Madagascar, de la terrine de canard d’origine Union européenne ou encore du « miel de montagne » issu d’un mélange entre des productions ukrainienne, roumaine et chinoise.

Des agriculteurs collent des stickers sur des produits emblématiques pour demander à ce que leur production soit payée au juste prix.

« Les grandes surfaces sont pleines de produits importés. Les accords de libre-échange nous mettent en concurrence avec des agriculteurs du monde entier, à qui l’on n’impose pas les mêmes exigences. C’est ça qui nous fait du mal et que l’on dénonce aujourd’hui », explique Philippe Babaudou, l’un des porte-parole de la Confédération paysanne de Haute-Vienne, dont l’action vise aussi à alerter les consommateurs, souvent trompés par les étiquettes.

Des annonces insuffisantes

Toutes les conversations reviennent sur les annonces du Premier ministre, suivies à la télé la veille au soir et globalement jugées insuffisantes : Gabriel Attal a tout misé sur la simplification et la suppression des normes.

« Des mesurettes pour éteindre le feu à court terme », commente Dominique, productrice de pommes du Limousin. « On ne peut pas résoudre en une nuit le malaise paysan », certifie Philippe Babaudou. « Commençons par faire appliquer [la loi] Egalim. Des amendes à 2 % du chiffre d’affaires pour les grosses entreprises, ça ne pousse pas à être vertueux », déplore Julien Roujolle, un autre porte-parole de la Confédération paysanne en Haute-Vienne.

À propos des mesures de simplification administrative notamment pour la création de bassines, ce dernier ajoute : « La mobilisation contre ces projets est hyper importante pour la Conf’ paysanne et là, le gouvernement nous fait un gros doigt d’honneur. Sur certains points comme celui-ci, c’est une marche en arrière. »

Prise de parole d’un agriculteur dénonçant la présence prédominante de produits étrangers dans les rayons.

Au milieu du regroupement, la députée de Haute-Vienne Manon Meunier (LFI), corapporteure d’une mission d’information parlementaire sur la dynamique de la biodiversité dans les pratiques agricoles, prend la parole à son tour. « On n’installera jamais tous les paysans dont on a besoin si on ne leur assure pas un revenu digne. L’agriculture n’est souvent pas le premier sujet dont on parle en politique mais grâce à la mobilisation, des fenêtres se sont ouvertes… Il faut en sortir avec des victoires. » Les manifestants approuvent par des applaudissements.

Besoin d’un changement profond

La Confédération paysanne plaide justement pour un changement profond du modèle agricole que les paysans ne devraient pas être les seuls à porter. Celui-ci passerait, entre autres, par un accompagnement à la transition agroécologique à la hauteur des enjeux, la priorité à l’installation plutôt qu’à l’agrandissement, l’arrêt de l’artificialisation des terres agricoles ou encore l’instauration de prix planchers.

« Il faudrait interdire l’achat en deçà du coût de production. Dans notre cas, les conditionneurs achètent notre miel 6 euros le kilo, très peu, pour le revendre 10 euros à la grande distribution. Il se retrouve en rayon à 15 euros », illustre Guillaume Anténor, apiculteur corrézien.

Les militants à la sortie du magasin.

Quelques-uns s’attardent devant le centre commercial en fin d’après-midi. Ni tracteur ni bottes de paille à l’horizon. Ce week-end, des actions étaient organisées par le syndicat dans la Drôme, l’Indre mais aussi les Hautes-Alpes. « On attend de voir la suite… Même si l’on a parfois une vision aux antipodes, tous les agriculteurs partagent cette passion pour leur métier, dit Julien Roujolle. Maintenant, la question est : comment on s’organise collectivement pour que ceux qui bossent avec la terre puissent enfin en vivre ? »

Lisa Douard et Valérie Teppe (photographies pour Reporterre)

Poster le commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *