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Merav Michaeli, chef des travaillistes israéliens : "Netanyahou doit être remplacé tout de suite !"

« Israël opère conformément au droit international, et autorise déjà l’aide humanitaire à entrer à Gaza. Cela doit être ainsi, mais sans profiter au Hamas, lequel ne fait pas de différence entre son entreprise terroriste et les citoyens qu’il est censé représenter », déclare Merav Michaeli.

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Merav Michaeli, chef des travaillistes israéliens : « Netanyahou doit être remplacé tout de suite ! »

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Alors qu’il a longtemps présidé à la destinée de l’État hébreu, le Parti travailliste israélien a bien failli être rayé du paysage politique. Ancienne journaliste, Merav Michaeli en a repris les rênes en 2021, et affirme désormais lutter pour une société plus juste, et une politique de sécurité basée sur la paix. « Marianne » l’a rencontrée chez elle, dans le nord de Tel Aviv.

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Votre parti a accumulé les revers électoraux. Que représente-t-il encore aujourd’hui ?

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Merav Michaeli : Il y a un réel paradoxe. D’un côté, l’idéologie et l’agenda travaillistes correspondent à ce que désirent la majorité des Israéliens. Ceux-ci veulent une économie sociale-démocrate et un État libéral, leur garantissant la liberté religieuse et la liberté d’être. Ils aspirent aussi à une véritable sécurité. Pas à ce sentiment imaginaire des dernières années, ou un bouillonnement imperceptible a finalement conduit à l’explosion du 7 octobre. De plus, les Israéliens croient toujours en une séparation entre leur peuple et les Palestiniens.

En Israël, Merav Michaeli tente de ressusciter le parti travailliste

Le parti travailliste israélien a porté à sa tête en février une ancienne éditorialiste du quotidien Haaretz pour enrayer son déclin.

Il est loin le temps des pères fondateurs du parti travailliste, Ben Gourion, Golda Meir ou Shimon Peres, créateurs de l’État d’Israël en 1948, de son armée (Tsahal), de ses institutions et même du système de santé qui permet aujourd’hui à Benyamin Netanyahou, chef du Likoud (droite), de s’enorgueillir d’une campagne exemplaire de vaccination contre le Covid-19. Après avoir régné sans partage pendant presque trois décennies, la principale formation de la gauche israélienne n’est plus créditée, à la veille des législatives du 23 mars, que de six élus sur 120.
Encore ces sondages tiennent-ils du miracle. Depuis longtemps moribond, le parti travailliste a rebondi à la faveur de ses primaires remportées par Merav Michaeli, 54 ans. Dogmatique et intransigeante, l’ancienne éditorialiste du quotidien Haaretz a contesté la décision de son prédécesseur, Amir Peretz, de rallier le cabinet de Benny Gantz (centriste) et Benyamin Netanyahou.
  • Toujours vêtue de noir, passionnément féministe, elle milite surtout pour le pluralisme, les droits de la communauté LGBT et des minorités, ainsi que pour la reconnaissance du judaïsme réformé, majoritaire aux États-Unis. Laïque, elle vit à Tel-Aviv avec son compagnon, Lior Shlein, un animateur de télévision à l’humour grinçant.

    Remonter la pente ne sera pas évident

    Pragmatique, elle appuie l’hétéroclite « bloc du changement », formé par des partis de droite et du centre-droit qui aspirent à renvoyer Netanyahou chez lui, après douze ans consécutifs au pouvoir. Très proche du Meretz (gauche) de Nitzan Horowitz, elle s’engage à épauler ceux qui aspirent à promouvoir l’éthique, la justice, la démocratie et le libéralisme mis en péril par Netanyahou. « Les travaillistes retrouveront leur rôle prépondérant », assure-t-elle.

    Mais, remonter la pente n’est pas évident. Le déclin a commencé en 1977, quand Menahem Begin, leader historique de la droite, a accédé aux commandes en jouant de la colère de l’opinion à la suite des ratés de Golda Meir durant la meurtrière Guerre du Kippour. L’homme des accords de Camp-David avec l’Égypte a su également capitaliser sur l’amertume des Séfarades qui reprochent à l’Establishment ashkénaze de les avoir accueillis avec paternalisme, voire morgue, à leur arrivée d’Afrique du Nord, dans les années 1950.

  • Glissement à droite de l’opinion israélienne

    Ces mêmes Séfarades, souvent des juifs pratiquants installés à la périphérie pauvre du pays, peuvent difficilement s’identifier au couple atypique formé par Merav Michaeli et Lior Schlein, reflet de la classe des nantis de Tel-Aviv, capitale industrielle et libérale surnommée « la bulle ». Délibérément démagogue, Netanyahou – dont le procès pour corruption reprendra le 5 avril – dénonce d’ailleurs l’existence d’un « État profond » contrôlé par « les élites gauchistes » ashkénazes.

    Merav Michaeli a aujourd’hui la lourde tâche de reprendre le flambeau travailliste, après Yitzhak Rabin, prestigieux vainqueur de la « Guerre des Six jours » (1967), revenu aux affaires en 1992 et assassiné trois ans plus tard par un juif religieux extrémiste, pour avoir fait la paix avec Yasser Arafat, et après Ehoud Barak, un ancien chef d’état-major couvert de médailles, remercié dès la deuxième et sanglante Intifada.

    Ce énième scrutin sera l’occasion de vérifier si la nouvelle égérie des travaillistes a réussi à enrayer le glissement de l’opinion à droite et à capitaliser sur les manifestations antigouvernementaux et anti-Netanyahou qui ont lieu en Israël chaque samedi depuis des mois.

  • Joël David  à suivre sur la Croix

Merav Michaeli, le féminisme au secours de la gauche israélienne

La nouvelle présidente du parti travailliste offre un nouveau souffle à la formation fondatrice d’Israël. Ses électeurs ? Des électrices principalement, attirées par la « révolution des cols roses » qu’elle a promis de lancer face à un Netanyahou accusé d’avoir « renvoyé les Israéliennes à la cuisine ». 

Salomé Parent-Rachdi

Au milieu de la douzaine de visages masculins qui s’affichent à la télévision, chacun fixant l’écran d’un air plus ou moins goguenard, celui de Merav Michaeli arbore un masque serein, ses pupilles brunes comme déjà plongées dans les yeux de ses futurs électeurs. À 54 ans, cette ancienne journaliste au quotidien de gauche Haaretz est la troisième israélienne à diriger Havoda, le parti travailliste, dans les pas de Shelly Yachimovich et de Golda Meir, seule femme jamais élue première ministre de l’histoire d’Israël.

À la veille du scrutin du 23 mars, les quatrièmes élections législatives en deux ans, Michaeli se décrit volontiers comme une sociale-démocrate à tendance « rabiniste ». Pour elle, une lutte est primordiale, de laquelle découlent toutes les autres : faire d’Israël un « paradis féministe » en imposant la défense des droits des femmes au cœur du débat politique, quand elle l’est déjà largement au sein de la société.

Pour cela, la nouvelle cheffe des travaillistes, le parti historique de Yitzhak Rabin et David Ben Gourion, autrefois majoritaire à la Knesset, a su gagner la légitimité de ses partisans : en janvier dernier, elle remporte les primaires du parti avec plus de 70 % des voix.

Malgré le plébiscite, le vote de mardi ne devrait offrir à Michaeli qu’une place dans l’opposition : l’élection se jouera à droite de l’échiquier politique, les partis relançant le loto des alliances pour ou contre un Benjamin Netanyahou auréolé de sa campagne de vaccination ultra-efficace contre le coronavirus.

À ce petit jeu, la présidente d’Havoda est claire : prête à tout pour faire tomber le premier ministre candidat à sa réélection, elle n’exclut pas de s’allier avec les ultra-droitiers Gideon Saar ou Naftali Bennett si nécessaire, « même si avec le parti centriste de Yaïr Lapid, ce serait quand même mieux ». Et à gauche ? « Elle n’a jamais accordé aucune attention à une éventuelle alliance qui inclurait les partis non sionistes [les formations des arabes d’Israël – ndlr] », explique Thomas Vescovi, chercheur indépendant en histoire et auteur de L’Échec d’une utopie. Une histoire des gauches en Israël, aux éditions de La Découverte.

Illustration 1 Merav Michaeli à Hod Hasharon, près de Tel-

Plutôt coureuse de fond que sprinteuse, cette « franc-tireuse » a de l’ambition pour gravir les échelons jusqu’au poste suprême, mais elle doit d’abord s’atteler à un défi qu’aucun de ses récents prédécesseurs – dont beaucoup s’accordent à reconnaître le charisme limité – n’a relevé : redonner vie à un parti en totale perte d’influence, qu’elle compare à une « femme battue » assommée par les coups successifs.

Celui de son dernier président Amir Peretz en particulier, devenu ministre de l’économie dans le gouvernement de Benjamin Netanyahou en avril dernier après avoir d’abord juré ne jamais rejoindre ses rangs. À l’époque, Michaeli, déjà députée, décide de quitter le seul parti qu’elle ait jamais connu depuis son entrée en politique en 2012, soucieuse de ne pas être associée à la trahison.

C’est de cet épisode, notamment, qu’elle tire l’image de droiture qu’on lui associe aujourd’hui, grâce à laquelle, à défaut d’une « renaissance », elle a offert une « résurrection » à son parti, selon les mots du politologue Denis Charbit. Et pour cause : donnée d’abord incapable de passer le seuil électoral minimum pour entrer au Parlement israélien, la liste paritaire des travaillistes est aujourd’hui créditée d’entre cinq et sept sièges, selon les sondages.

Ses électeurs ? Des électrices principalement, attirées par la « révolution des cols roses » qu’elle a promis de lancer face à un Netanyahou accusé d’avoir « renvoyé les Israéliennes à la cuisine », la crise du Covid-19 ayant, en Israël aussi, favorisé la précarisation du travail des femmes.

Au cœur de son programme, baptisé « la maison de l’égalité » : d’importants investissements dans le social et dans les politiques pour une meilleure égalité entre les sexes, dont un congé maternité d’un an pour les deux parents. Autant de thématiques négligées, selon elle, par le reste de la classe politique.

C’est notamment ce qui séduit Ronit* (le nom a été changé), « religieuse et activiste féministe »« En tant que femme religieuse et mère, je sais qu’elle se battra pour mes intérêts comme elle l’a toujours fait, et beaucoup mieux que les députés ultra-orthodoxes. »

Loin d’être un gimmick électoral, son engagement féministe est antérieur à sa carrière politique. Ainsi, en septembre 2012, un mois avant son ralliement au parti travailliste, l’ex-journaliste donnait une conférence au thème particulièrement provocateur dans un pays au conservatisme encore bien ancré : la fin du mariage.

Elle est déjà vêtue de noir, couleur qui deviendra par la suite son unique « uniforme », « pour que l’on parle de ce qu[’elle] fai[t] et pas de ce qu[’elle] porte ». Ce jour-là, Michaeli arrive sur scène au son de la Marche nuptiale, se livrant ensuite à une descente en règle de « cette institution patriarcale imaginée par les hommes pour contrôler [les] utérus ». Le tout en citant Cendrillon, Kate Middleton et son mariage avec le prince William.

Des convictions que la cheffe des travaillistes applique jusque dans sa vie privée : en couple avec Lior Schleien, humoriste et producteur de télévision, tous deux vivent dans des appartements séparés, sans enfant. Dans ses prises de parole aussi, en utilisant systématiquement la parole inclusive, ou dans ses inspirations, comme lorsqu’elle cite la célèbre féministe américaine Gloria Steinem dans son « manifeste » d’entrée en politique: « Une femme ne peut être que féministe ou masochiste. »  

« Je suis convaincue que le féminisme est populaire en Israël, expliquait il y a quelques mois la députée à Mediapart. Quand on a au pouvoir un gouvernement de droite, religieux et patriarcal, cela ne veut pas forcément dire que toute la société est comme ça. » 

Pour Noa Balf, de l’Institut féministe d’Haïfa, le « piège » serait de se focaliser trop exclusivement sur ces thématiques : « Plus les députées siègent longtemps à la Knesset, plus elles ont tendance à se concentrer sur les questions liées aux femmes. Parce que les autres députés les sollicitent principalement sur ces sujets. »

Jusque-là, pourtant, celle qui siège à la prestigieuse commission des affaires étrangères et de la défense à la Knesset n’a jamais manqué de s’exprimer sur les autres sujets clés, de l’Iran à la sécurité des frontières nord, en passant par le conflit israélo-palestinien. Partisane de la solution à deux États, Merav Michaeli a récemment répété ne pas envisager un seul instant le démantèlement des principales colonies de Cisjordanie. Elle est aussi de ceux qui désapprouvent l’ouverture d’une enquête par la Cour pénale internationale sur les crimes de guerre présumés commis par Israël en Cisjordanie et à Gaza.

Les élections du 23 mars seront donc décisives pour la députée Havoda, bien décidée à prendre à bras-le-corps son destin politique. Après tout, elle est la petite-fille de Rudolf Kastner, avocat hongrois assassiné en 1957 à Tel-Aviv pour avoir négocié avec les nazis la libération de près de 2 000 Juifs voués aux camps d’extermination en échange d’or et de pierres précieuses, et dont les descendants hériteront d’une image controversée jusqu’à sa réhabilitation posthume.

L’adversité, Merav Michaeli la connaît bien, elle a grandi avec.

Salomé Parent-Rachdi

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