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Sans la réunion du courant des « luttes minoritaires » et celui d’une approche plus institutionnelle et républicaine, il n’y a aucune chance de « construire une cité qui soit à la fois démocratiquement et matériellement écologique », estime Serge Audier.

Philosophie : La cité écologique ou la barbarie

Le philosophe Serge Audier explore les pensées politiques pour bâtir une synthèse capable de lier – enfin – République et écologie, seule alternative possible à la crise sociale, démocratique et environnementale.

Certains essais sont comme une quête. La cité écologique est de ceux-là. D’abord, parce que ce gros livre vient après deux autres.

D’abord La société écologique et ses ennemis, publié en 2017, dans lequel Serge Audier se livrait à un véritable travail d’archéologie des idées, remettant au goût du jour ce que le mouvement socialiste avait oublié, à savoir quel point les premiers penseurs socialistes héritiers de Jean-Jacques Rousseau, Charles Fourier, George Sand et Elisée Reclus avaient mené de front la critique sociale du capitalisme naissant et la défense de la nature menacée par la gloutonnerie des capitalistes.

L’âge productiviste vint deux ans plus tard, retrouvant les fondements intellectuels de la société industrielle, héritage des Lumières de Descartes à Condorcet, et la fascination qu’exercèrent les progrès technologiques sur les penseurs de la République et du mouvement socialiste, des saint-simoniens à Marx ou Auguste Comte.

Avec La cité écologique, ouvrage paru en plein Covid, le marathonien de la philosophie politique boucle donc son Ring, au bout de près de 2 500 pages à l’érudition époustouflante, en tentant la synthèse entre les « post-rousseauistes », qui seraient les écologistes, et les post-encyclopédistes, soldats de la République. Une ambition salutaire lorsqu’on contemple l’actualité, par exemple la polémique qui oppose la maire de Paris, Anne Hidalgo, à ses alliés d’Europe écologie-Les Verts…

Réunir les deux courants de la gauche

On recommanderait donc volontiers à celle-ci et à ceux-là de lire Serge Audier, qui n’ignore pas que l’histoire a forgé les partis politiques tout autant sinon davantage que la philosophie. En août, alors qu’il écrivait les dernières lignes de son œuvre, l’auteur expliquait-il à Alternatives Economiques le sens de sa recherche :

« Le divorce crucial à dépasser, selon moi, est celui entre une approche de type « luttes minoritaires », ou « société civile », et une approche plus institutionnelle et républicaine. Les écologistes et toute la gauche devraient démontrer, dans leur doctrine et leurs programmes, qu’ils sont les porteurs d’un « intérêt général » élargi, social et écologique, pour toutes les générations et l’ensemble du vivant. »

Sans la réunion de ces deux courants, écrit-il, il n’y a aucune chance de « construire une cité qui soit à la fois démocratiquement et matériellement écologique ».

A ceux qui pensent la République comme un « bloc », à la façon d’un Régis Debray prompt à gausser « le culte de la carotte-bio », il rappelle le socialiste Jean Jaurès, selon qui la forme républicaine demande « à être sans cesse transformée à l’épreuve de ses contestations internes, qui pointent le caractère insuffisamment commun de son « bien commun » », tout en questionnant les tenants écologistes de la table rase idéologique :

« Pour ce qui est des valeurs dites occidentales (…), de l’universalisme aux droits en passant par le progrès, mais aussi de la République à la démocratie, faut-il jeter tout cela dans la poubelle de l’histoire ? »

Pas de synthèse molle

Plutôt que dire adieu à la modernité ou à l’humanisme comme nous y invitent certains courants de l’écologie, l’auteur préfère « réactiver nos intuitions morales et démocratiques fondamentales, en les élargissant au vivant ».

Pour réaliser la fusion entre la vieille tradition républicaine et socialisante et les combats écologistes, Serge Audier fait appel à tout ce qu’a produit la philosophie politique et navigue d’Aristote à André Gorz, en passant par Jean-Jacques Rousseau. Il parvient en bout de course à lier combat pour l’émancipation humaine et combat pour la nature.

« L’éco-républicanisme » qu’il appelle de ses vœux renouerait avec ce « trésor perdu », qui réunirait « le meilleur des traditions libérales et libertaires mais surtout communistes, socialistes et républicaines ».

Ce n’est pas une synthèse molle, puisqu’il s’agirait, entre autres, de remettre en cause non seulement le capitalisme mais aussi la propriété et « l’individualisme asocial » établi par le néolibéralisme.

Il y a urgence à ouvrir ce chantier, avertit Serge Audier, car « les amis de la démocratie sont engagés dans une course contre la montre pour accomplir une mutation socio-économique radicale, mais aussi pour ne pas se faire dépasser par des formes d’autoritarisme et de populisme nationaliste ». La cité écologique ou la barbarie, en somme.

Hervé Nathan avec Alternatives économiques

La cité écologique. Pour un éco-républicanisme, par Serge Audier, La Découverte 750 pages, 258 euros.

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