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Vélo, végétalisation, grand emprunt… Dans les grandes villes, les écologistes font leurs premiers pas au pouvoir

Entre exigence sociale, environnementale et démocratique, de nouveaux maires écologistes prennent le pouvoir, à Bordeaux, Strasbourg ou Besançon. Derrière leurs victoires locales, ils veulent aussi dessiner un projet national.

Devant la mairie de Bordeaux, le 3 juillet.

Avec une vingtaine de villes remportées, plus de 2 millions d’administrés, la machine écologiste est lancée. Depuis les 4 et 5 juillet, les gagnants de la poussée verte aux élections municipales ont pris leurs quartiers, dans les hôtels de ville de Bordeaux, Strasbourg, Besançon, ou Lyon. Dans les rangs d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV), l’heure est à la jubilation. « L’écologie a longtemps été présentée comme un foyer d’utopistes et de refuzniks du progrès. Aujourd’hui preuve est faite que les réalistes, ce sont les écologistes, et les utopistes, ce sont ceux qui veulent maintenir le statu quo et un modèle qui va dans le mur », se réjouit Noël Mamère, l’un des premiers maires écologistes de France – élu à Bègles (Gironde) de 1989 à 2017 –, qui savoure, éloigné de tout mandat, ce « grand bonheur ».

Les bons résultats du parti n’ont pas éteint les réflexes critiques, à droite notamment, où l’on minimise un vote « bobo » qui serait l’apanage de grandes villes déconnectées des territoires moins bien lotis. Il n’empêche, l’heure des gestionnaires écologistes est venue, dans les métropoles surtout, les villes moyennes aussi. Pour définir l’écologie municipale, il faut d’abord admettre une logique tenace : c’est dans les endroits les moins verts – grandes villes, métropoles – que les électeurs votent le plus écolo, même si le vote vert périurbain progresse dans une moindre mesure.

Ensuite, impossible de ne pas mentionner la partie la plus visible du programme des nouveaux maires, celle qui s’articule autour de l’horizon de la ville apaisée : végétalisation ou « déminéralisation », mobilités douces, circuits courts, qualité de l’air. En dépit des procès en « boboïsation », cet arsenal de mesures est aussi devenu un marronnier de la campagne des élections municipales, les candidats de tout bord s’emparant de l’idée de plus en plus consensuelle d’une ville respirable, agréable, cyclable.

Vélo et végétalisation

En la matière, Pierre Hurmic, l’écologiste qui a fait basculer Bordeaux, à droite depuis soixante-treize ans, prévoit dès cet été une « végétalisation provisoire » dans certains espaces. « On pourra ainsi baisser la température moyenne de 5 °C », ajoute l’écologiste, à l’approche d’un été qui menace d’être caniculaire. Il partage cette mesure avec Jeanne Barseghian, nouvelle maire de Strasbourg, ainsi qu’un premier geste symbolique : déclarer l’état d’urgence climatique.

Anne Vignot, 60 ans, ingénieure de recherche au CNRS, devenue officiellement vendredi 3 juillet la première maire écologiste de Besançon (la première femme à ce mandat aussi), s’amuse presque de ces lieux communs. La semaine dernière, une équipe de télé lui a encore demandé d’enfourcher son vélo devant la caméra. « J’ai bien compris que c’était devenu le plan incontournable », s’amuse-t-elle. « C’est mon mode de déplacement quotidien, donc pas de triche. Cela fait plus de dix ans que je n’ai plus d’auto, depuis la mort de ma 205 rouge », poursuit-elle, avant de s’interroger sur la nécessité de la berline mise à sa disposition, employant deux chauffeurs.

Au-delà du symbole, la maire de cette ville au centre ancien enserré dans la boucle de rivière du Doubs entend ramener la voiture à sa « juste place » en luttant contre le stationnement sauvage et en faisant respecter des limitations de vitesse à 30 km/h, voire 20 km/h par endroits.

Procès en élitisme

A lui seul, pourtant, le volet « ville apaisée » des programmes locaux d’EELV alimente les procès en élitisme dressés dans les grandes villes. Le philosophe Pierre Charbonnier, chargé de recherche au CNRS et auteur de Abondance et liberté. Une histoire environnementale des idées politiques (La Découverte, 2020), juge, dans une tribune publiée par Libération le 30 juin, que l’écologie municipale, de plus en plus urbaine, fait face à deux scénarios possibles. D’un côté, celui « d’une consolidation des inégalités sociales et spatiales à partir des valeurs vertes ». De l’autre, dit-il, elle peut ambitionner d’abolir « la frontière entre l’intérieur et l’extérieur », et de rénover « le pacte qui lie les centres-villes aux espaces fantômes qu’elles consomment et consument ». L’équation, délicate, exige de conjuguer le désormais classique « fin du monde et fin de mois », de réconcilier ville et périphérie, centres historiques et ronds-points.

« Pour répondre à la question sociale, il faut aussi faire en sorte que les gens aient moins de dépenses (…) C’est le treizième mois écologique », estime David Cormand, eurodéputé EELV

Parmi les figures du parti, les idées ne manquent pas pour résoudre cette tension. David Cormand, eurodéputé et secrétaire national d’EELV de 2016 à 2019, estime qu’il faut en finir avec la vision d’un « rayonnement exogène » des grandes villes, comme avec l’idée de leur « compétitivité internationale », pour privilégier « une économie endogène avec des réseaux locaux plus résilients et générateurs d’emploi ». « Pour répondre à la question sociale, il faut aussi faire en sorte que les gens aient moins de dépenses, moins besoin de leur voiture, moins de taxes ménagères et de facture énergétique, énumère-t-il. C’est le treizième mois écologique. »

Entre frugalité et grands emprunts

Dans le jardin public de Bordeaux, le 28 juin.

Dans le même temps, les édiles défendent l’équilibre de leur future gestion financière, un point qui a longtemps constitué un angle d’attaque privilégié contre « l’utopisme » des Verts. A Bordeaux, Pierre Hurmic a annoncé le gel de certains programmes immobiliers, une manière, dit-il, de conjuguer un objectif de zéro artificialisation des sols et de frugalité budgétaire. « Il faut que la réalité urbanistique bordelaise soit en cohérence avec l’idée d’une agglomération non millionnaire », appuie l’avocat, promettant la non-artificialisation des derniers espaces de nature tout en s’engageant à « faire avec le budget actuel », sans augmenter les impôts.

A Strasbourg, Mme Barseghian envisage pour sa part le lancement d’un grand emprunt de 350 millions d’euros sur six ans, notamment pour investir dans la réhabilitation de logements privés et de bâtiments publics. Idem à Besançon : Mme Vignot prévoit d’emprunter 10 millions d’euros pour les écoles et se réserve la possibilité d’emprunter 9 à 10 millions de plus, « tout en restant dans le vert en termes de désendettement ».

Tout en y accédant largement, les élus écologistes promettent de questionner les structures de pouvoir qu’ils occupent. Jeudi 2 juillet à Lyon, Bruno Bernard a pris la tête de la métropole, tout un symbole tant la superstructure s’écarte des idéaux de démocratie participative des écologistes. Dans son discours d’installation, le nouveau président s’est fixé pour objectif de « convaincre les habitants du Grand Lyon que cette assemblée fortement renouvelée représente les citoyens ».

M. Cormand, son ami présent à ses côtés, en convient : « Historiquement, l’écologie est une pensée qui se méfie de la concentration des activités, du pouvoir politique, économique, financier, culturel, et des plus riches sur une seule zone. Les métropoles n’ont jamais irrigué autour d’elles, au contraire, elles drainent. Cette vision-là, on l’a toujours remise en question. »

« Renouer le lien démocratique avec les citoyens »

Alors qu’infusent depuis plusieurs années les écrits de l’Américain Murray Bookchin sur le municipalisme libertaire, l’idée de faire émerger la démocratie à l’échelon local fait son chemin. A Besançon, Anne Vignot n’a été élue que par 16,70 % des inscrits, abstention oblige. Cela n’ôte rien à sa légitimité « mais m’oblige à l’humilité », insiste-t-elle, déterminée à « renouer le lien démocratique avec les citoyens ».

Un dossier en particulier, l’aménagement d’un écoquartier aux Vaîtes, petit secteur de jardins ouvriers, devrait mettre à l’épreuve cette ambition. Après plusieurs recours, le Conseil d’Etat a validé, vendredi 3 juillet, la suspension des travaux dans la zone à défendre (ZAD), ce qui devrait lui laisser le temps de solliciter le « GIEC local » qu’elle veut installer afin de lui soumettre tous les dossiers à impact environnemental. « Je me suis engagée à transformer la ville, il me faut, pour cela, une adhésion massive sinon ça restera trop ponctuel, anecdotique », dit-elle.

Si certains promettent le changement, d’autres perpétuent des alliances anciennes, comme à Strasbourg, où Jeanne Barseghian et la socialiste Catherine Trautmann ont annoncé la constitution d’un intergroupe majoritaire qui devrait permettre à l’ancienne maire de garder un œil sur la nouvelle majorité et sa génération de novices.

Mais les écologistes ne sont plus une force d’appoint. Dans les thèses de Murray Bookchin, les municipalités libres finissent d’ailleurs par se réunir en fédération et par remplacer l’Etat. Parmi les Verts, la parabole plaît. « C’est ce qui va se passer, les [Eric] Piolle [maire de Grenoble depuis 2014], [Grégory] Doucet [maire de Lyon], Hurmic, tous ceux qui ont été élus, vont créer une fédération des villes écolos, s’enthousiasme Noël Mamère. Ce qui s’est passé aux municipales peut être une forme de répétition générale avant ce qui pourrait se passer à la présidentielle. » L’élan des municipales n’aplanit pourtant pas toutes les divergences. Mercredi 8 juillet, le maire de Grenoble, Eric Piolle, a ainsi prôné une « stratégie différente » de celle de l’eurodéputé Yannick Jadot pour l’élection présidentielle, jugeant « fondamental » de « créer une équipe » avant de choisir un candidat… Le débat est ouvert.

 

 

 

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