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Il est temps d’abolir les barbecues qui font pousser des couilles aux hommes

L’homme devant un barbecue est comme une femme devant une paire de Louboutin: incontrôlable.

Le barbecue ou l'appel du mâle. | Sincerely Media via Unsplash
Le barbecue ou l’appel du mâle.

C’était l’été dernier. Nous avions loué une maison au bord de l’eau avec des amis. Le soir venu, nous avions allumé le barbecue et disposé sur la grille un beau morceau de saumon acheté le matin même chez le poissonnier –je ne mange plus de viande depuis quelques années. Maintenant je m’en souviens très bien, pendant que nos épouses conversaient dans leurs transats, nous les mâles, trois hommes dans la force de l’âge, avions soufflé sur les braises tout en sirotant qui une bière, un verre de vin, un jus de myrtilles (moi) –je ne bois plus d’alcool depuis quelques années.

Je dois l’avouer, à cet instant, je me sentais au sommet de mon potentiel érotique –je ne baise plus… nan je déconne. D’ailleurs, pour tout dire, à mesure que le saumon cuisait, que sa peau rosissait, que sa chair s’affermissait, je sentais monter des profondeurs de mon être les prémices d’une érection incontrôlable. En moi coulait le sang ardent du mâle, l’appel du désir, l’envie de baiser la terre entière. J’étais comme possédé. De temps en temps, je lançais des rugissements auxquels répondaient les feulements de ma compagne. Un peu plus et je la prenais là, entre deux tranches de papier alu, trois rondelles de citron et un kilo de charbon.

Comme quoi, Sandrine Rousseau se trompe. Ce n’est pas la viande en soi qui attise la virilité, c’est le barbecue. Même quand je me contente de cuire des poivrons sur la grille ou de simples patates en robe de chambre, je bande comme un forcené. C’est instinctif. Le barbecue agit sur moi comme un aphrodisiaque. Quand je me tiens là devant lui avec mes piques et mon soufflet, mon gant en forme de moufle, mes marinades à portée de main, sel et poivre à mes pieds, je sens palpiter les réminiscences d’un lointain passé, quand mes ancêtres revenant de la chasse jetaient dans le feu la carcasse de leurs gibiers.

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C’est tout un monde primitif qui revient à moi. D’ailleurs plus d’une fois, j’ai songé à m’enrouler dans le tapis du salon et, revêtu de cette seule tunique, mes poils saillant hors de la tenture et mes couilles au vent, procéder, entre deux grognements, à l’allumage du barbecue. Qui dira jamais le vertige du mâle quand il voit rougir les premières brindilles, ce crépitement du feu qui n’est pas sans rappeler les premiers fourmillements du désir chez la femelle, ce besoin d’être prise à même la terre humide?

Car oui, comment le nier, le barbecue exalte chez l’homme sa part de virilité, cette bestialité qui somnole en lui comme une ivresse de possession; un désir animal d’exister par le seul truchement de sa queue, de son membre rugissant où afflue le sang sauvage de sa masculinité enflammée. L’homme devant un barbecue est comme une femme devant une paire de Louboutin: incontrôlable.

S’il est accompagné, c’est encore bien pire. Alors, oubliant les préceptes inculqués par la civilisation, faisant fi de son éducation et de ses valeurs, il redevient un loup parmi d’autres loups. Comme grisés par la fumée échappée du barbecue, lui et ses compères se lancent à corps perdu dans des discours où chacun à tour de rôle rivalise de grivoiseries, de blagues grossières, d’échanges endiablés qui disent tous leur désir de luxure, l’histoire de leurs étreintes passées et à venir, le récit de soirées lubriques quand ils papillonnent de désir au milieu d’un troupeau de femmes à conquérir.

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Même devant une limande, oui une simple limande plate comme une crêpe normande, une limande décorée de légumes du jardin, une limande achetée sous vide, j’ai entendu des professeurs de philosophie, des gens très respectables, des écrivains, des caissiers de supermarché, des postiers parler de leurs femmes en des termes si équivoques que plus d’une fois j’ai eu honte d’être leur ami. Comme si le simple fait de se regrouper à la nuit tombée autour d’un barbecue perdu au fond d’un jardin de banlieue les rendait cons comme des supporters de foot.

Il est temps d’abolir les barbecues. D’ailleurs si on y réfléchit bien, c’est le feu en lui-même qui devrait être tout bonnement interdit. Le feu et le chaud puisque même devant un barbecue à gaz, j’ai constaté chez moi et mes amis les mêmes dérèglements hormonaux. C’est donc bien la source de chaleur alliée à la symbolique de l’objet, le barbecue en lui-même, qui provoque chez le mâle cet égotisme de la virilité. Sans barbecue, le mâle perd de son prestige. D’ailleurs un mâle devant une casserole où bout l’eau des pâtes n’a plus rien de l’homme qui plastronnait hier encore devant un barbecue.

Il devient inoffensif comme un buveur de bière devant un verre de limonade.

Il ressemble alors à… à…

De quoi?

Une couille molle, oui voilà, je n’osais le dire.

You Will Never Hate Alone / Vous ne détesterez jamais seul.

 

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