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« Pour survivre l’Union européenne doit retrouver l’esprit de solidarité qui a prévalu à la Libération »

L’Union doit prendre des décisions à la hauteur de la crise, sans quoi elle risque de favoriser les populismes et de disparaître de la scène internationale, estime dans une tribune  l’ancienne ministre Elisabeth Guigou.

L’Union européenne est en danger de mort. Ne sous estimons pas le signal d’alarme lancé, le 28 mars, par Jacques Delors qui brise ainsi un silence médiatique de plusieurs années. Jamais la défiance, déjà ancienne, entre membres de l’UE n’avait atteint un tel niveau. Jamais le climat n’avait été aussi délétère entre les dirigeants des Etats du Nord et du Sud de l’Union.

Il est vital qu’elle prenne des décisions à la hauteur de la crise, faute de quoi populistes et nationalistes domineront à nouveau la scène politique européenne ; faute de quoi l’UE disparaîtra des radars mondiaux, écrasée entre la Chine et les Etats-Unis, ballottée dans un monde sans gouvernail et de plus en plus fracturé.

La pandémie a pris au dépourvu le monde entier, malgré les alertes et la répétition des zoonoses (maladies ou infections qui se transmettent des animaux vertébrés à l’homme, et vice versa : N.D.L.R.) dues à la destruction des écosystèmes. Il n‘est donc pas étonnant, qu’au début, la Commission européenne ait été trop timide et lente et que chaque Etat ait privilégié la protection de ses nationaux.

La force de l’Etat-nation

D’autant que seuls les Etats-nation sont légitimes pour prendre des décisions restreignant les libertés individuelles. La peur crée aussi un réflexe de refuge vers les cellules les plus proches – familles, quartiers ou villages – et vers les territoires ou le sentiment d’appartenance est fort, régions et nation. Dans l’urgence, seuls les Etats pouvaient déployer les budgets indispensables aux hôpitaux, aux soignants, aux chômeurs, et aux entreprises. Les contrôles sanitaires aux frontières ont, logiquement, été renforcés.

Mais certains Etats membres de l’UE, dans une démarche plus idéologique que sanitaire, ont fermé les passages. Il est tout à l’honneur de la France de ne pas l’avoir fait avec l‘Italie, au contraire de l’Autriche. Les confiscations de masques et matériels médicaux et le manque total de soutien à l’Italie et à l’Espagne ont aggravé la crise de confiance entre Européens.

Cette situation est, sans surprise, exploitée par les populistes dont le fonds de commerce est de jouer sur les peurs. Ils jubilent et retrouvent une audience qui avait décliné depuis 2017. L’euroscepticisme prospère, encouragé, hélas, par l’affligeant spectacle du Conseil européen des chefs d’Etats et de gouvernement. La coupure, ancienne, entre les Etats du Nord et du Sud de l’UE s’élargit dangereusement.

Le rôle de l’Union européenne

Les dirigeants hongrois et polonais piétinent davantage encore nos valeurs et droits fondamentaux sans s’attirer de réaction encore moins de sanctions. Quatre réunions du Conseil européen n’ont pas abouti à un accord sur l’indispensable plan de relance et de solidarité alors qu’est déjà en route la pire récession depuis les années 1940, que le chômage flambe, que les inégalités se creusent et de façon beaucoup plus visible.

A quoi sert l’Union européenne ? De la réponse à cette question dépend sa survie.
Le plus crucial est de retrouver l’esprit de solidarité qui a prévalu au lendemain de la seconde guerre mondiale avec le plan Marshall, qui a mutualisé les financements de la reconstruction. Le plus urgent est d’aider, sans condition ni restriction, les pays qui ont été en première ligne face au Covid-19.

Car si ces Etats souffrent davantage de la pandémie, c’est parce qu’étant les premiers atteints, ils ont expérimenté les mesures qui ont permis aux autres de mieux lutter contre le virus. La solidarité est un devoir moral car aucun pays n’est fautif. C’est aussi l’intérêt des Etats de l’Union de se montrer tous responsables car si l’Italie ne peut financer son déficit, la panique des investisseurs peut menacer l’existence de l’euro et du marché unique dont les économies européennes les plus prospères sont les premières bénéficiaires.

Les 1 000 milliards d’euros de la BCE

La Banque centrale européenne (BCE) a porté à 1 000 milliards d’euros son programme d’achats de titres ce qui a, pour le moment, calmé les marchés. Mais ce répit pourrait n’être que de courte durée si la division perdure. La Commission européenne a opportunément assoupli les règles du pacte de stabilité et des aides d’état aux entreprises. Mais son premier plan de relance et de soutien n’a pas pu être adopté par le Conseil européen.

Comment sortir de l‘impasse à temps ? Ni trop tard ni trop peu. Se livrer à une bataille de chiffres sur le montant du plan, mêler celui-ci aux négociations sur les perspectives financières 2021-2027 est, à mes yeux, la meilleure façon d’enliser et d’envenimer le débat. Ne serait-il pas plus judicieux de commencer par un accord sur les objectifs à atteindre pour surmonter cette crise, et ensuite seulement, d’en chiffrer le financement et la répartition de l’effort dans l’immédiat et dans la durée.

Ce serait montrer aux Européens que l’esprit de solidarité n’est pas mort, et au reste du monde que l’Union européenne est capable de décisions rapides et audacieuses. La Commission européenne doit aussi renouveler sa doctrine sur la mondialisation économique. La crise sanitaire montre la dépendance néfaste de l’Europe en matériels de santé. Dans le numérique et l’intelligence artificielle, elle accuse un retard préoccupant.

Un changement d’état d’esprit de l’Europe

Heureusement, les notions de « politique industrielle » et de « souveraineté européenne » portées par la France ne sont plus tabou à la Commission comme au Parlement européen. Il reste à tirer les conséquences concrètes de cette révolution des esprits en définissant, secteur par secteur, les conditions de l’autonomie stratégique de l’UE. Déjà, certaines chaînes de valeurs, aujourd’hui mondialisées se régionalisent en Europe.

Et parce que, dans cette pandémie planétaire, l’Union européenne pas plus que chaque Etat-nation ne peut se sauver seul, la responsabilité et l’intérêt de l’Europe est aussi d’aider ses voisins de l’Est et du Sud et particulièrement l’Afrique, avec laquelle un nouveau partenariat récusant tout néocolonialisme est à construire. Ce devrait être une des priorités de la sortie du confinement que d’élaborer, avec les Africains, une stratégie de création d’emplois et d’investissement, respectueuse de l’impératif écologique et du développement humain.

Elisabeth Guigou, ancienne ministre des Affaires européennes (1990-1993), de la Justice (1997-2000), de l’emploi et de la solidarité (2000-2002), est présidente de la Fondation Anna Lindh.

 

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