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Qu’est-ce que la réactance?

Qu’est-ce que la réactance?

La réactance psychologique, théorisée par Jack W. et Sharon S. Brehm en 1966, est un mécanisme de défense psychologique, une réaction émotionnelle négative chez un individu qui tente de maintenir sa liberté d’action alors qu’il la croit ôtée ou menacée.

De fait, quand on prive un individu d’un choix, d’une liberté, d’une action possible ou d’un comportement, celui-ci basculera dans un état de tension et de motivation intense visant à rétablir ce qu’on lui a enlevé. Cette peur d’une aliénation pouvant alors motiver les individus à transgresser les interdits.

La réactance psychologique explique pourquoi la censure, la privation, tout interdit augmente notre désir de transgression. Il existe des moments de vie où la réactance psychologique peut être plus importante, comme durant l’enfance (désir du jouet prohibé) mais aussi, et surtout, durant l’adolescence (les interdits forgés par les parents étant vus comme attractifs). Par ailleurs, certaines personnes présentent plus de réactances que d’autres. Ces individus très réactants ont tendance à être plus angoissés et plus enclins aux dépressions profondes.

Nous sommes des êtres de liberté. Nous aimons choisir par nous-mêmes sans que nos actions soient dictées par autrui. C’est pourquoi nous avons tendance à résister à la perte de liberté qu’entraînent les contraintes, que cette perte soit réelle, partielle ou simplement envisagée.  En psychologie sociale, on appelle ça la réactance psychologique, une théorie formulée par le chercheur Jack Brehm en 1966.

On observe des phénomènes de réactance en ce moment vis-à-vis certaines mesures sanitaires mises en place pour contrer la COVID-19. On en constate aussi lors de la mise en place d’initiatives de lutte aux changements climatiques.

 

Théorie de la réactance

Pour Brehm (1966), le fait d’éliminer, ou simplement de menacer, la liberté d’action d’un individu provoque une motivation appelée la « réactance psychologique ». Cette motivation dirige le comportement de l’individu vers le rétablissement de cette liberté perdue virtuellement ou réellement. Lorsque les individus estiment que leur liberté d’action ou que certaines de leurs positions peuvent être limitées, ils tentent d’une façon ou d’une autre de restaurer cette liberté perdue.

Hammock & Brehm (1966) ont montré l’impact de la réactance psychologique dans une expérience conduite auprès d’enfants. Ils ont demandé, dans un premier temps, à des enfants de ranger 9 barres de sucreries différentes. Dans le groupe expérimental, ils ont informé les enfants qu’ils pourraient ensuite, comme récompense, choisir entre deux barres de sucrerie (sur les 9). Dans le groupe contrôle, ils disent aux enfants qu’ils pourront ensuite choisir entre les deux types de barres de confiserie. Dans un deuxième temps, une fois que les enfants ont ordonné leur troisième et leur quatrième choix, les expérimentateurs leur demandent de prendre celle qu’ils préfèrent parmi ces deux là. Avant qu’ils ne mangent leurs barres de sucrerie, ils demandent aux enfants de réordonner l’ensemble des barres. Les résultats de l’étude montrent que l’attractivité de l’alternative qui n’a pas pu être choisie augmente. De plus, le rang de l’alternative (3e rang pour le groupe expérimental) qui a fait l’objet d’une obligation de choix, diminue.

Les nombreuses études ultérieures ont montré que les conditions d’émergence d’une réactance psychologique sont inféodées à un certain nombre de caractéristiques.

  • La personne doit estimer que sa liberté d’agir ou de penser sans aucune entrave lui fera défaut dans un avenir proche.
  • Cette restriction doit être injustifiée ou illégitime. Si cette suppression de liberté est justifiée la réactance psychologique sera d’autant moins forte que la justification paraît légitime.
  • La force de la réactance psychologique varie en fonction de l’importance du comportement qui est menacé. Plus l’importance de ce comportement est forte, plus la réactance est importante.
  • La réactance est également modulée en fonction du délai de privation. La réactance est moins forte si la privation de liberté ne doit durer qu’une minute, par rapport à une privation d’une heure.
  • L’étendue de la réactance dépend aussi du degré de recouvrement qui existe entre les comportements disponibles et le comportement censuré. Si le recouvrement est important alors l’impact de la réactance est faible.

L’expérience de Brehm & Weinraub (1977) illustre parfaitement ce dernier point. Elle porte sur des enfants de 2 ans et sur deux jouets. Le premier jouet est placé devant une barrière avec l’enfant alors que le deuxième jouet est placé de l’autre côté de la barrière et est inaccessible. Dans une cas, le jouet inaccessible est similaire à l’autre jouet alors que dans l’autre il est différent. Dans une phase préalable de l’étude, les auteurs vérifient que cette différence n’a aucun impact sur la préférence du jouet. Les résultats montrent que l’enfant dans la condition de jouet différent tente d’approcher le jouet plus souvent que dans l’autre condition. La similarité entre les jouets atténue la force de la réactance.

Différentes recherches semblent également indiquer que si l’individu s’estime incompétent ou contrôlé par des événements extérieurs, il ne connaît pas, dans ces cas là, de réactance lorsque sa liberté est limitée. Différentes études se sont également intéressées aux caractéristiques individuelles des individus. En effet, certaines personnes semblent être plus réactantes que d’autres (Buboltz, Woller, & Pepper, 1999). Les études issues de la psychologie de la santé, semblent indiquer que les individus très réactants ont tendance à être plus stressés, à avoir des niveaux de dépression plus importants et se sentent moins heureux. Plus récemment, Thomas & al. (2001) ont proposé une échelle permettant de mesurer le niveau de réactance individuelle.

Représentation intégrée de la réactance psychologique
(d’après Brehm, 1966)

 

 

La réactance est un mécanisme de défense qui nous pousse à restaurer notre sentiment de liberté lorsque celle-ci semble menacée ou réduite.

Autrement dit, c’est une réaction négative aux efforts d’autrui pour nous amener à agir d’une certaine façon. Vous savez, quand la vendeuse ou le vendeur insiste tellement qu’on quitte le magasin sans avoir rien acheté? C’est ça, la réactance. À trop vouloir persuader, on produit parfois l’effet inverse, c’est-à-dire une personne ou une population mécontente qui défiera les consignes en adoptant des comportements peu désirables.

La réactance se déploie de diverses façons. On peut ressentir de la colère ou de l’agressivité, ce qui peut mener à des conflits ou à des actes de vandalisme. On peut aussi poser des gestes compensatoires par lesquels on tente de regagner sa liberté en adoptant des comportements plus excessifs que ceux qu’on aurait en l’absence de la contrainte. Qui n’a jamais accéléré tout d’un coup, non pas sans pousser un soupir de soulagement, après la sortie d’un embouteillage? Dépenser plus (en ligne) en temps de confinement est un autre exemple.

Il peut aussi être tentant d’esquiver les mesures coercitives en agissant à l’insu des autorités ou de chercher à éviter l’information jugée comme menaçante. On changera par exemple de poste en voyant une publicité de la santé publique nous rappelant de porter le masque. On peut également évaluer une position contraire à la nôtre comme étant moins fiable, peu crédible ou moins convaincante. Pas génial pour le pouvoir de persuasion.

Lorsqu’on connaît ce phénomène de réactance, on comprend mieux l’envie qu’ont certaines personnes de transgresser les mesures sanitaires actuelles. Le confinement est long et difficile, il nous restreint dans nos actions. Les fêtes dans les parcs, l’envie de « dépenser sans compter » et « d’en profiter », les manifestations anti-masque, le non-respect de la distanciation physique et la recrudescence des théories du complot sont autant de tentatives – néfastes, mais compréhensibles – de regagner quelques degrés de liberté et de « reprendre le contrôle » sur nos vies.

Malheureusement, non seulement cela était prévisible, mais cette réactance pourrait bien être la source d’une seconde vague d’infection. Elle pourrait également mener à un relâchement de nos efforts collectifs pour agir de façon écoresponsable. Cela au nom de « la liberté ».

Il en va de même pour la lutte aux changements climatiques. La grogne contre les nouvelles zones piétonnes et pistes cyclables à Montréal illustre parfaitement le phénomène de réactance. Les plaintes, pétitions et commentaires haineux sur les réseaux sociaux à l’endroit des cyclistes se sont multipliés après l’aménagement de ces nouvelles infrastructures. La population se sent bousculée dans ses habitudes de déplacement, et les stationnements supprimés sont perçus par certaines personnes comme une atteinte directe à leurs droits et libertés. Ces infrastructures sont pourtant bénéfiques à plusieurs égards, mais la façon dont elles ont été implantées et la manière utilisée pour communiquer leur mise en place ont suscité tellement de réactance que cela pourrait bien provoquer une perte de confiance de la population envers les autorités municipales, voire des comportements dangereux allant à l’encontre d’un partage harmonieux de la route.

En santé comme en environnement, le défi est donc de prévenir et de diminuer la réactance au sein de la population. C’est un préalable pour assurer l’acceptabilité sociale de mesures parfois contraignantes, mais nécessaires à notre bien-être et à notre résilience collective.

 

Anne-Sophie Gousse-Lessard

Docteure en psychologie sociale et environnementale

Après un heureux détour dans l’univers de l’éducation relative à l’environnement, Anne-Sophie a complété une thèse doctorale en psychologie sociale et environnementale ainsi qu’un postdoctorat sur l’adaptation aux changements climatiques. Elle profite maintenant de la perspective privilégiée que lui offre son deuxième congé de maternité pour partager ses connaissances, ses réflexions et ses espoirs quant à notre rapport au monde.

 

Le modèle de comportement que vous décrivez est appelé réactance psychologique.

La réactance en tant que concept a été formalisée dans le travail de Jack Brehm dans les années 1960, qui a proposé une théorie de la réactivité psychologique (1966). La théorie postule que les menaces à la liberté personnelle provoquent une excitation motivationnelle visant à rétablir la liberté . Par conséquent, l’attrait de ces choix de comportement qui sont éliminés ou menacés peut être accru.

Un exemple de manuel est une étude (Brehm, Stires, Sensenig et Shaban, 1966) dans laquelle on a promis aux élèves de choisir l’un des enregistrements musicaux. Lorsqu’une des alternatives a été supprimée, elle a été perçue comme plus attrayante (mais uniquement lorsque les étudiants s’attendaient à pouvoir décider librement).

Depuis lors, le concept a été appliqué à une grande variété de contextes tels que le rôle de la liberté éliminée dans le comportement des consommateurs (par exemple, Clee et Wicklund, 1980), les effets persuasifs des messages promotionnels sur la santé (par exemple, Dillard et Shen, 2005) , ou la non-conformité du patient dans des cadres thérapeutiques (par exemple, Fogarty, 1997).

Les références

Brehm, JW (1966). Une théorie de la réactance psychologique. New York: Academic Press.

Brehm, JW, Stires, LK, Sensenig, J., et Shaban, J. (1966). L’attractivité d’une alternative de choix éliminée. Journal of Experimental Social Psychology, 2, 301–313. doi: 10.1016 / 0022-1031 (66) 90086-2

Clee, MA et Wicklund, RA (1980). Comportement du consommateur et réactance psychologique. Journal of Consumer Research, 6, 389–405.

Dillard, JP et Shen, L. (2005). Sur la nature de la réactance et son rôle dans la communication persuasive sur la santé. Monographies de communication, 72, 144–168. doi: 10.1080 / 03637750500111815

Fogarty, JS (1997). Théorie de la réactance et non-conformité des patients. Sciences sociales et médecine, 45, 1277–1288. doi: 10.1016 / S0277-9536 (97) 00055-5

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