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Laïques sans frontières : pour une loi de 1905 universelle

Laure Daussy

C’est un rassemblement qui fera date. Vendredi et samedi dernier, pour la première fois en France, des militants laïques du monde entier, athées et libre penseurs, se sont réunis avec un mot d’ordre : appeler à mettre en place la laïcité dans tous les pays du monde. Nous publions en exclusivité leur appel.

« Il faudrait inscrire la laïcité au patrimoine mondial de l’Unesco ! » Rarement la laïcité aura été autant espérée et demandée par ceux qui vivent parfois jusque dans leur chair son absence : des athées – pour beaucoup ex-musulmans – et libres-penseurs du monde entier, souvent menacés et persécutés dans leur pays d’origine. Ils se sont retrouvés à Paris, à l’Hôtel de Ville, lors d’un rassemblement qui fera date, vendredi 8 et samedi 9 décembre. Pour la première fois, en France, des militants laïques du monde entier se sont donc réunis avec un mot d’ordre : appeler à mettre en place la laïcité dans tous les pays du monde. L’année dernière, ce rassemblement était intitulé Celebrating Dissent et se déroulait à Cologne. Cette année, il était organisé à l’initiative de Laïques sans frontières, association présidée par la cinéaste franco-tunisienne et militante laïque Nadia El Fani, et par le Conseil des ex-musulmans de Grande-Bretagne, fondé par Maryam Namazie, réfugiée iranienne au Royaume-Uni. Charlie en était un des partenaires.

Parmi les points forts de cette rencontre, l’adoption d’un appel international (à lire ci-dessous), élaboré tout au long des deux jours. Certains termes ont fait débat, révélateurs du combat de ces ex-musulmans : faut-il appeler à un « droit à l’apostasie » et à un « droit au blasphème », comme proposé dans une première version de l’appel ? « Ce sont les mots qui sont utilisés pour nous condamner, c’est reprendre les termes des religieux ! » reprochent plusieurs participants dans la salle. D’autres tiennent à ces mots. L’assemblée optera finalement pour ajouter la notion de « délit », en appelant à « la suppression du délit de blasphème et d’apostasie ».

L’appel existe aussi en anglais, et le choix a été fait de traduire « -laïcité » par laicity, et non par secularism, comme c’est souvent le cas, manière de montrer la spécificité du concept et de le dissocier du modèle multiculturel présent en Grande—Bretagne. « Un modèle qui aboutit à ce qu’existent 300 tribunaux qui se fondent sur la charia, en parallèle de la justice britannique, et qui décident par exemple du sort des femmes quand elles divorcent, celles-ci ne bénéficiant pas de la loi commune », dénonce la militante laïque et féministe franco-algérienne Marieme Helie Lucas lors d’une des tables rondes. « La laïcité n’est pas une valeur typiquement française, mais une valeur universelle, à laquelle nous aspirons tous », ajoute Taha Siddiqui, journaliste pakistanais réfugié en France, menacé dans son pays pour avoir exercé sa liberté d’expression.

Comment devenir athée

Les participants souhaitent aussi « que l’on ne regarde plus le monde musulman comme un bloc » : « oui, il y a des athées en Islam! » proclame le livret de présentation de l’événement. Ils étaient nombreux à le revendiquer et à dénoncer la manière dont ils sont parfois perçus dans les pays dans lesquels ils sont réfugiés : considérés comme « islamophobes » et pas soutenus par les partis de gauche dans leurs pays d’accueil. « Pourquoi  on est devenus athées? La réponse est simple: parce qu’on a lu le Coran! » lance Fauzia Ilyas, ex-musulmane qui a dû fuir le Pakistan.

Parmi les questions portées au débat : y a-t-il une possibilité d’athéisme dans le Coran ? La philosophe et membre du conseil d’orientation de la Fondation de l’islam de France Razika Adnani a évoqué plusieurs versets qui peuvent être considérés comme défendant la liberté de conscience. « Mais ils ont été ignorés », explique-t-elle. Elle souligne que l’islam peut évoluer, y compris en se fondant sur les textes coraniques. Une évolution nécessaire, martèle-t-elle, en prenant l’exemple de la Turquie, qui a su mettre en place très tôt la laïcité, mais qui subit un violent retour en arrière car cette laïcité n’a pas été accompagnée d’une évolution de la religion. D’autres estiment qu’il ne sert à rien de vouloir faire évoluer l’islam et que la priorité est de laisser la religion de côté. Maryam Namazie se lève et présente à l’assemblée un petit livre qu’elle vient de publier, intitulé Le Coran des femmes. C’est en réalité un carnet aux pages blanches, entièrement vide, car rien n’est respectueux envers les femmes dans le Coran, clame-t-elle sous les applaudissements.

L’appel de Paris : Laïques de tous les pays, unissez-vous !

 
Pour la première fois en France, une conférence internationale réunissant défenseurs et défenseuses de la laïcité du monde entier s’est déroulée les 8 et 9 décembre 2023
à l’Auditorium de l’Hôtel de Ville de Paris. Cette conférence était co-organisée par l’Association Laïques Sans Frontières (LSF), une association Loi 1901, créée en
janvier 2023 à Paris, et le Council of Ex-Muslims of Britain (CEMB), en collaboration avec le Comité Laïcité République (CLR) et l’Association EGALE (Égalité Laïcité
Europe), en partenariat avec Charlie Hebdo, le magazine Marianne, Freedom From Religion Foundation (USA), National Secular Society (UK) et Center for Inquiry (USA).
L’événement a réuni plus de 40 personnalités laïques, venant des quatre coins du monde. Ils ont abordé différentes thématiques telles que, l’importance de la laïcité pour
les droits des femmes, l’athéisme dans le contexte islamique, les défis contemporains liés à la laïcité et son rôle dans la préservation de la démocratie, etc.

A l’issue de la Conférence un appel a été lancé:
L’APPEL DE PARIS :  LAÏQUES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS !
 
Parce nous refusons que la religion dicte sa loi à la Cité (la « Polis ») et affirmons que la séparation des religions et de l’État protège les droits de toutes et tous quelles que
soient leurs convictions personnelles, athées, croyants ou agnostiques.
Parce que nous rejetons toute discrimination et tout racisme, au nom de notre humanité commune.
Parce que nous combattons l’obscurantisme, les fondamentalismes, les communautarismes.
Parce que nous considérons que le droit à la différence ne doit pas conduire à la différence des droits.
Parce que nous condamnons avec force toute violence ou contrainte contre l’expression d’une pensée libre.
Parce que nous revendiquons un accès pour toutes et tous au savoir et à une éducation rationnelle et émancipatrice.
Parce que nous sommes profondément attachés aux valeurs de liberté, d’égalité et de justice.
Parce que nous sommes pour un monde de paix où la raison prime sur les croyances, et qui reconnait des principes humanistes et universels.
Parce que la laïcité ne saurait être confondue avec la sécularisation des sociétés, nous exigeons le droit à la liberté de conscience.

Nous, réunis ce 9 décembre 2023, année du 75ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits humains et anniversaire de la loi française de séparation des
Églises et de l’État, lançons « L’APPEL DE PARIS » aux Laïques de tous les pays afin de s’unir pour :

1. La promotion de la laïcité en tant que principe fondamental à la démocratie, au pluralisme, aux droits universels et aux libertés dans toutes les sociétés.
2. La séparation complète des religions et de l’État dans les structures et systèmes politiques notamment dans la Loi, le système judiciaire, l’éducation, la santé et tous les services publics.
3. L’abolition des lois religieuses et culturelles restrictives dans les codes civil, pénal et de la famille. Nous refusons tout règlement et pratiques imposées aux femmes qui portent atteinte à leur dignité et leur dénient le droit de disposer de leur corps.
4. Le droit à la liberté de conscience et d’expression, y compris le droit de changer de religion ou de n’en avoir aucune et la suppression du délit de blasphème et d’apostasie.
5. L’égalité entre les femmes et les hommes, et les droits de citoyenneté pour toutes et tous.
6. La défense des dissidents menacés par leur État ou leur société pour leur croyance ou leurs convictions.
7. Le droit de toutes et tous de vivre et d’aimer selon leur libre choix.
Laure Daussy à suivre sur Charlie-hebdo

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