L’époque est à la haine et à l’imprécation? Au sentiment d’injustice et au besoin incessant de réparation? L’époque se trompe, assure Cynthia Fleury dans Ci-gît l’amer. Guérir du ressentiment, un essai brillant et réconfortant qui, de Nietzsche au psychiatre anticolonialiste Frantz Fanon, en passant par Adorno et son art abstrait de la sublimation, remet la responsabilité individuelle au centre et propose, face à la souffrance qui accable chacun, de se libérer par la création plutôt que ressasser sa frustration.

«Inutile d’être tragique, dit la philosophe et psychanalyste en citant Jankélévitch. Il suffit d’être sérieux.» Et d’oser réveiller le chien méchant qui dort au fond de notre inconscient pour l’affronter et dépasser nos pulsions. Battre le faible en soi, celui qui, précisément, s’aigrit en faisant de l’Autre, l’ennemi.

Produire de la reconnaissance

Cynthia Fleury porte bien son nom. Cette intellectuelle française âgée de 46 ans a lu tous les livres, – et en a écrit quelques-uns –, mais rien de pédant dans son essai qui, dans un langage souvent doux comme un pétale, fait le pari de l’ouverture, de l’imagination et de l’admiration. Comment? En célébrant la capacité du sujet à «produire de la reconnaissance pour autrui, même s’il n’en a pas vu la trace dans sa propre vie». «Il y a la lecture pour être reconnu, il y a les arts pour être reconnu. Lorsque les êtres faillissent, lorsqu’ils sont incapables de nous donner un peu de cette reconnaissance dont nous avons tant besoin, il faut faire alliance avec la culture pour sortir du désastre de l’avilissement programmé.»