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Gwénaëlle Avice-Huet : Vivre au temps de la sobriété électrique

Les épisodes climatiques extrêmes qui se multiplient sur le globe montrent que la lutte contre les changements climatiques doit s’intensifier. Pour y parvenir, l’électricité jouera un rôle essentiel. Encore faut-il s’entendre sur la façon de la produire – et sa consommation.

Gwénaëlle Avice-Huet est vice-présidente senior en charge de la stratégie de Schneider Electric

Gwénaëlle Avice-Huet est vice-présidente senior en charge de la stratégie de Schneider Electric

Sept mois après, le traumatisme est encore tenace. Le grand gel au Texas a fait la Une des journaux dans le monde en février dernier. A raison. Alors que l’on se baigne dans les eaux du golfe du Mexique à Noël, le thermomètre a plongé autour de -20° C pendant quatre jours. Les centrales électriques ont gelé, 4 millions de Texans ont été privés d’électricité parfois pendant une semaine et, conséquence terrible, 200 personnes sont mortes de froid ou d’intoxication au monoxyde de carbone dans leur logement.

Le marché électrique texan est un modèle unique, totalement libéralisé depuis 1999 et quasiment non-interconnecté avec les autres réseaux américains. Le prix de l’énergie y est très avantageux. Dans ce Far West de l’électricité, les offres commerciales prolifèrent. Revers de cette concurrence sauvage : les opérateurs sont insuffisamment rentables pour réinvestir dans des capacités supplémentaires et mettre à niveau leurs centrales.

Le grand gel a montré les limites du système. Un tiers des capacités de production n’a pas résisté au froid, le pic de demande a multiplié par 300 le prix de gros de l’électricité, les abonnés aux contrats à prix variables ont reçu des factures de plusieurs milliers de dollars, et les distributeurs à prix fixe doivent éponger des pertes énormes. L’absence de plan d’effacement des clients – le gestionnaire du réseau réduit la consommation d’un ou de plusieurs acteurs pour retrouver l’équilibre – a amplifié le problème : les particuliers n’avaient plus d’électricité mais pouvaient toujours admirer les tours illuminées des centres d’affaires vides.

Les limites du marché dérégulé

Au Texas, le débat entre les tenants de la libéralisation absolue et les promoteurs (minoritaires) d’une plus grande régulation n’a pas accouché d’une remise en cause du modèle actuel. Y aurait-il un modèle unique ? Evidemment, non. La libéralisation du marché de l’électricité a la vertu de faire baisser les prix pour le consommateur. Mais à l’heure où, en Europe et en France, les offres ajustées en temps réel sur le prix de gros de l’électricité commencent à fleurir, des garde-fous s’avèrent essentiels pour que l’électricité reste disponible et accessible pour tous en permanence, et notamment en cas de crise. A ce titre, l’idée de mettre en place un mécanisme de financement de capacité des producteurs comme il existe en Europe fait sens.

Mais cela ne peut pas être la seule solution. Pour se prémunir de la volatilité inhérente au marché, réduire la consommation électrique du bâtiment et des industries est une évidence à encourager. Les solutions d’efficacité énergétiques et de flexibilité se révèlent de surcroît indispensables, eu égard à nos objectifs climatiques. En Europe, elles représenteront une part significative des efforts pour atteindre l’objectif du plan « Fit for 55 » de réduire de 55% les émissions de CO2 d’ici à 2030. Rien qu’en France, le bâtiment représente environ 30 % des émissions nationales de gaz à effet de serre.

Le secteur bâtiment représente environ 30 % des émissions nationales de gaz à effet de serre.

Les solutions existent, mais elles doivent être déployées encore plus vite dans les entreprises et chez les particuliers. L’équipement des bâtiments et des toitures commerciales et industrielles en panneaux solaires est déjà connu et doit être étendu. Les véhicules électriques se multiplient et leurs batteries sont les nouveaux réservoirs à utiliser dans les garages et les parkings d’immeubles. Le numérique au service de la domotique, qui gère l’électricité produite sur place et régule de façon intelligente la consommation individuelle pour chasser le gaspillage, fera également partie de la réponse. L’Europe montre le chemin, avec la mesure de la performance énergétique des bâtiments et les audits énergétiques, notamment.

L’importance de la sobriété

Du côté américain, l’épisode texan a laissé des traces. Le gigantesque plan de financement des infrastructures en discussion à Washington porte l’ambition de mobiliser 100 milliards de dollars pour améliorer le réseau électrique et 27 milliards sur le développement durable et les énergies vertes. Ce plan de soutien aux industriels et aux clients devrait également stimuler le déploiement des outils intelligents et créer un pont avec celles déployées en Europe.

Attention toutefois aux mirages. Car la technologie ne peut pas tout. Et, au-delà des effets de la dépense publique, il est impératif pour tous de comprendre que disposer d’électricité partout et tout le temps a un prix. Dès aujourd’hui, et a fortiori demain, la sobriété énergétique sera plus que jamais une métrique incontournable.

Gwénaëlle Avice-Huet pour  APPIS

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